mardi 31 décembre 2013

Tu t'es vue quand t'as bu ? Socio-sémiologie de la biture



C'est l'un des marronniers de la presse tabloïd (mais pas que) anglaise. Dès qu'il fait un peu chaud et qu'il ne pleut pas - ce qui semble arriver de plus en plus souvent - on a droit à un reportage richement illustré sur le binge drinking. C'est un peu l'équivalent d'une beuverie, sauf qu'ils picolent en anglais. Là, c'est le Mirror qui s'y colle avec des photos prises fin juin dans les rues de Blackpool.

C'est sans intérêt, tant ce sujet et ces photos sont banals. Surtout quand on n'a pas vocation à enfoncer des portes ouvertes ou à tartiner des sermons moralisants au km : Faut pas trop picoler surtout à jeun, faut pas prendre le volant après, faut rester sous la surveillance des copines, où qu'ils sont le prince et la princesse, faut pas mélanger, c'est une honte de se comporter de la sorte, c'était mieux avant, il y a quand même des choses plus importantes dans la vie, faut pas s'étonner qu'ils aient voté pour le Brexit, y a plus de jeunesse, c'était pire de mon temps, ces Anglais n'ont aucun savoir-vivre, faut pas envoyer les selfies sur les réseaux sociaux, au prix où est la pinte c'est du gâchis, pas étonnant qu'ils aient brûlé Jeanne d'Arc, je l'avais bien dit mais on ne m'a pas écouté, etc.

C'est d'autant plus sans intérêt que C. Patterson, C. Emslie, O. Mason, G. Fergie et S. Hulton, une brochette de chercheurs des universités de Glasgow et de Durham, qui visiblement n'ont pas fait que sucer des glaçons dans les pubs écossais ou sur les berges de la Wear, ont publié l'article définitif sur ce sujet, sous le titre poétique de : Content analysis of UK newpapers and online news representations of women's and men's 'binge' drinking : a challenge of communicating evidence-based message about single-episodic drinking ?

Comme ils ont poussé le vice jusqu'à publier cette étude en anglais dans une revue scientifique médicale, ce n'est pas étonnant que leurs conclusions aient échappé à quelques rares francophones.

Je n'ai pas tout compris, mais j'en résume l'essentiel pour les lecteurs pressés de passer aux photos.

Ces chercheurs ont passé au crible 308 articles publiés entre le 1er janvier 2012 et le 31 décembre 2013 dans la presse anglaise et sur le site de la BBC - soit en moyenne,  presque un article sur ce sujet tous les 2 jours. Ils en concluent que ces articles associent plus souvent les femmes que les hommes au binge drinking et que les femmes y sont présentées comme plus problématiques que les hommes. Dans l'article de Patterson et al., il est question d'idéalisation de la féminité, de normes sociales, de l'influence des médias de masse, du regard et de sa portée, d'un manque d'objectivité et d'une évidente sous-représentation des hommes par rapport à leur poids réel dans les pratiques en question; statistiques, graphiques et imposante bibliographie à l'appui de leurs thèses, comme il se doit dans tout travail universitaire sérieux.

Contrairement à une idée reçue, ce ne serait donc pas parce qu'elles tiennent moins bien l'alcool qu'on voit plus souvent des femmes sur les photos. Bref, les photos qui suivent sont des représentations sexistes, misogynes ou machistes.

En conclusion, Patterson et al. préconisent que les médias cessent de se focaliser sur les jeunes femmes qui s'alcoolisent en public et qu'ils traitent plutôt des ravages de l'alcool dans leur globalité.

Perchés dans leur tour d'ivoire, ces universitaires académiquement corrects, n'ont oublié qu'une chose :
Les ravages de l'alcool, c'est pas très photogénique; alors que des nanas bourrées, ça fera toujours de l'audience dans la presse de caniveau. CQFD !













Credit photos : NB Press

Merci à :
Même si j'ai abordé leur travail par le tout petit bout de ma lorgnette et d'une manière parfois irrespectueuse, ce merci est sincère. D'autant plus qu'ils ont publié leur article dans BMJ Open, une revue scientifique en libre accès.

- William Haydock, pour son billet paru dans l'excellent blog Thinking to some purpose en février 2014, sous le titre : Binge drinking as a 21th century phenomenon.
Compte tenu de son ancienneté, je suppose que tout le monde le connait depuis plus longtemps que moi. Je ne l'ai donc pas utilisé pour la rédaction de cet article, mais sa lecture s'impose.

- Et bien entendu, le site du Mirror pour son traitement so british de l'information.

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