Le deuil de Paul Eluard, 
nous le portons depuis bientôt dix ans. Aujourd'hui, nous avons 
conscience de rester les seuls à porter ce deuil selon la vérité.
 
A l'occasion de cette 
mort, on a partout affaire à de la partisanerie : la presse soi-disant 
anticommuniste et la presse soi-disant communiste s'étendent, 
méchamment, pour ne voir en ce poète que ce qu'il s'est laissé devenir. 
Pas une ligne, nulle part, pour dire ce qu'il était. Ici, c'est de LUI 
que nous parlerons.
Nous avons souffert, nous
 souffrons encore à cause de lui. Il nous fut inconcevable, il nous 
reste inconcevable qu'un poète puisse finir en fasciste, qu'il puisse 
mourir avec sur lui, criant à jamais au ciel, le sang de son frère Zavis
 Kalandra, poète révolutionnaire resté farouchement intact et donc 
assassiné par les garde-blancs staliniens de Prague. Nous n'avons cessé 
de penser, nous ne cessons pas de penser: ce n'est pas LUI. Depuis 1942,
 nous avons tout fait (tous les témoignages sont là) pour tenter de 
l'empêcher de concéder son âme à une variété très subtile d'assassins 
des pensées, d'assassins de pauvres. On nous a beaucoup reproché d'avoir
 manifesté en toute occasion une profonde tendresse pour lui, mais nous 
lui trouvions toutes les excuses: il était né de la classe sociale 
bourgeoise et donc il était prédestiné à finir en agent stalinien; sous 
son nom de Grindel (Eluard est un pseudonyme), il exerçait la profession
 de gérant de sociétés immobilières et donc ne pouvait rien comprendre à
 cet instinct qui porte les gens du peuple (et, singulièrement, les 
prolétaires) à préserver leur indépendance et leur fierté par un travail
 honnête; enfin et surtout, il rencontra Louis Aragon, fils de flics; 
flic, engendreur de flics; et Louis Aragon, en fils parfait du chef 
policier qui, pour des sommes d'argent (qui commencent à être connues !)
 avait vendu tout un pays au prédécesseur du tsariste Staline, ce Louis 
Aragon commit son suprême crime de Judas: pendant ces dix dernières 
années, par des moyens atroces, il mit en scène Eluard poète sous les 
aspects d'un flic. Ces bourgeois ont fait pire encore, mais plus 
petitement. Par Paul Eluard, enfant inconscient, ils ont réussi, 
provisoirement, une impiété: ils ont fait que par Eluard soit commis le 
sacrilège des sacrilèges: celui d'avoir rompu la chaîne sainte des 
immenses poètes révolutionnaires: Biély, Blok, Essénine, Maïakovsky, 
Attila Joszef, et (en un lieu où tout le pur se rencontre) Federico 
Garcia Lorca. Ils ont fait d'Eluard, afin de faire leur cour au faible 
d'esprit nommé Staline, le poète de luxe du capitalisme finissant.
 
Par une ultime insulte, 
fort prévisible, ils lui ont organisé des obsèques dérisoires selon les 
procédés publicitaires d'un cynique agent d'affaires de " Coca Cola ". 
Ils ont voulu qu'il serve de même en sa mort, comme réclame commerciale.
 
Par
 la force d'une sorte d'invisible prière anarchiste, nous voudrions 
obtenir pour Paul Eluard, mort une première fois le jour où par 
lassitude d'être libre il s'inscrivit à un parti politique (et, dans son
 cas, au plus réactionnaire de tous), mort ces jours-ci, mais seulement 
matériellement, nous voudrions obtenir de lui épargner, dans le règne de
 la vérité et de la lumière, une troisième mort, une mort définitive: la
 mort sous le mépris. Dans la mesure de nos forces, nous appellerons 
celui qu'il fut un jour avant qu'on fit de lui un nazi.
 
Armand Robin, Le Libertaire, 27 novembre 1952
Armand Robin, Le Libertaire, 27 novembre 1952
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