lundi 17 juillet 2017

Le short d'une mondina


Si les critiques français ont vu dans Riz Amer à la fois une critique sociale et un projet esthétique, les cinéphiles américains ne sont pas tombés dans le panneau de l'intellectualisme germanopratin.
Riz Amer, c'est Silvana Mangano en short... et rien d'autre ! Qu'on se le dise !


Pour Bosley Crowther du New York Times, Silvana Mangano, c'est : Anna Magnani avec quinze ans de moins, Ingrid Bergman avec une touche latine et Rita Hayworth avec vingt-cinq livres en plus.

Pour Walter Winchell du Daily Miror : Dans Bitter Rice, Silvana Mangano est plus sexy que Mae West et Jane Russell réunies !

Affiche pour une séance de Bitter Rice au drive-in H and H de Stamford

Ce short de sex-symbol allait coller à la peau de Silvana Mangano pendant une bonne partie de sa carrière. Elle eut beau s'exhiber dans des tenues et des coiffures psychédéliques...



Même dans une robe affriolante tricotée au crochet, il lui manquait quelque chose...


Rien n'y fit. Les réalisateurs et les photographes en revenaient toujours au short.




Elle tutoya même le ridicule dans ce reportage pour un magazine italien.







Ce short mythique qui la réduit à une simple paire cuisses, quelle injustice !
Comme toutes les stars, Silvana Mangano accrochait la lumière.


Photo de Pascale de Antonis

Photo de Gjon Mili
Photo de Gjon Mili pour le magazine LIFE
P.P. Pasolini ne s'y est pas trompé


Visconti non plus :


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Petite digression pour casser le rythme, parce qu'on est pas à Télérama ici. Le port du short dans la vallée du Pô.
Le chapeau de paille et le short ne sont pas toujours signe de vacances. Pour les mondine, ces ouvrières agricoles saisonnières qui travaillaient dans les rizières de la plaine du Pô, c'était leur tenue de travail... Et quel travail ! Vers 1950, l'Italie était encore une terre d'émigration. Les femmes des régions les plus pauvres étaient toutes désignées pour effectuer ces travaux épuisants.





Non, ce n'est pas un groupe de gonzesses en goguette. Ce sont des mondine qui veulent faire bonne figure devant l'objectif. Une expression de la Common decency, comme aurait pu le dire Orwell.


A propos de shorts en goguette, il existe une adaptation de Riso amaro en comédie musicale, du moins si j'en crois la Stampa.



On peut préférer cette video de Bella Ciao. La mélodie est un chant traditionnel des mondine.




Fin de la digression et retour à l'essentiel.

Mais, revenons à notre short. Il n'y a pas de bon film sans une bonne affiche. C'est un lieu commun. Les exploitants ne s'y sont pas trompés et c'est Silvana Mangano dans son short bleu, noir ou rouge selon l'inspiration du coloriste qui tiennent l'affiche. D'abord en Italie :



puis aux USA (avec sa beauté primitive en prime !) :



Ou même en Suède où Bitter Ris partageait l'affiche avec Annie du Far West :




Cette version française n'est pas la plus réussie. Comme en Italie, Silvana Mangano n'occupe que la 3ème place dans la liste des acteurs (après Doris Dowling !). Sur l'affiche, elle n'occupe plus la meilleure place. La France a toujours été un pays de cinéphiles avertis.



La version polonaise de 1957 est intrigante. Une tentative de synthèse du réalisme socialiste et du néo-réalisme italien ?


En Allemagne, c'est plutôt la poitrine de Silvana Mangano, en tête d'affiche, qui impressionna.




Autre digression, en guise de conclusion. De l'art de récupérer les icônes.
Avant d'être un art, le cinéma est une industrie qui maîtrise à merveille celle de la contrefaçon.


Sophia Loren dans la Fille du Fleuve (1954)




Avec une touche d'originalité... La paire de bottes !


Elsa Martinelli dans La Risaia (1956)
Un vague remake en couleurs de Riz Amer ? Je n'en sais rien. La Fille de la rizière n'a pas marqué l'histoire du cinéma.





Les hommes sont des animaux... Je suis là pour bosser. Rien d'autre !






En guise de conclusion et parce qu'il faut bien rigoler un peu.
Présentation de Riz amer par l'Idiot utile du Journal Officiel.
Le film néoréaliste par lequel le sexe est arrivé (1). C’est-à-dire une œuvre pas trop conforme au genre dans la mesure où elle relativise les problèmes des ouvriers agricoles de la plaine du Pô en mettant au premier plan les cuisses sexy des jeunes mondine (travailleuses des rizières), dont celles de la plantureuse Silvana Mangano, première icône érotique européenne de l’après-guerre. Un film plaisant mais peu rigoureux… Le réalisateur stalinien Giuseppe De Santis n’a jamais brillé par sa finesse.
Source : Les Inrocks

(1) NDLR d'ici. C'est aussi par ce film que le carré blanc est arrivé à la télé, le 26 mars 1961.

Me voilà arrivé au terme de ce billet. Je me rends compte qu'il n'y a presque rien sur la riziculture italienne. et si peu sur Silvana Mangano. (D'autres l'ont très bien fait avant moi. Voir la bibliographie ci-dessous).
Pas grave. Il y a les choses importantes et celles qui le sont moins, les souvenirs et le souvenir des souvenirs.

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Petite bibliographie aléatoire :

Une sélection de 31 photos de Silvana Mangano sur IMDB. (Internet Movie DataBase)
Une autre sélection de photos de Silvana Mangano sur The Red List.
Une galerie d'une trentaine de photos du film Riz Amer sur MoviePilot.de.
Silvana Mangano sur Tumblr (avec quelques erreurs d'attribution)
Une chronique de Justin Kwedi sur Il était une fois le cinéma.
Une critique matérialiste par un quotidien cocolâtre.

Parmi les vidéos, j'ai un faible pour cette séquence extraite de Théorème de Pasolini. Peut-être parce qu'il fallait un artiste comme Pasolini pour ne pas sombrer dans la vulgarité, peut-être parce qu'il fallait oser le long travelling du début de cette séquence ou peut-être parce qu'il a su capter un regard.



Vidéo qui fait le lien avec les remarques sans importance dont il m'arrive parfois de parsemer mes billets.
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Quelques remarques sans importance... sauf pour moi !

Il ne fait jamais bon d'accepter les commandes qu'on ne pourra pas honorer, surtout quand on ne maîtrise pas son sujet.

A l'origine de ce billet, il y a cette photo de Daniel Frasnay.


D. Furtif a vu le short (j'avais vu les bras nus) et de fil en aiguille, il en est arrivé fort logiquement (?) à Silvana Mangano. Il aurait tout aussi bien pu en arriver à Raymond Kopa ou à Dominique Rocheteau. J'aurais eu ma chance. Il ne me l'a pas laissée. J'ai donc poursuivi sa logique en empruntant mon sentier des souvenirs.

Comme beaucoup dans ma génération, ce sont les ciné-clubs de quartier (laïques ou confessionnels, je les fréquentais tous) et les derniers cinémas permanents du centre ville qui ont forgé ma culture cinématographique (sic). Nous lisions peu et plus mal encore. C'était à la fin des années 70. Ces cinémas allaient bientôt disparaître comme bien d'autres choses, mais je n'ai rien vu arriver. La pression immobilière, la demande de la clientèle, la multiplication des chaines TV et la démocratisation des magnétoscopes n'y sont peut-être pas pour rien. Mais, notre paresse et nos infidélités ont fait le reste. Au début des années 80, il ne nous restait plus que Claude-Jean Philippe et Eddy Mitchell à la télé (et Jack à la Culture). Tout n'était pas encore perdu.

Dans les ciné-clubs, j'ai surtout appris à ne rien voir. Nous y pensions l'Art - le 7ème et les autres que nous méprisions - avec de maigres outils conceptuels. Internet n'existait pas et nous avions autre chose à faire de notre argent de poche que d'acheter les Cahiers du Cinéma.

Comment concilier le maoïsme et le plan américain ou Michel Foucault et la Nouvelle Vague ? Je ne me souviens pas des artifices dialectiques que nous utilisions. Peut-être les mêmes que ceux de Godard ou de Sollers, mais dans une version provinciale.

Nous étions très jeunes, très bêtes et très fiers de l'être. Sous la houlette d'un animateur, nous ânonnions ce que nous pensions avoir compris à l'écoute du Masque et la Plume. Georges Charensol (Note 1) et Jean-Louis Bory (Note 2), nous singions leurs joutes sans avoir ni leur culture, ni leur mémoire, ni leur regard. L'animateur du ciné-club non plus. Je n'ai compris que plus tard. Je n'avais pas encore lu Bourdieu.

Dans les cinémas permanents, c'était différent. On en prenait plein les mirettes avec deux nouveaux (mais pas trop récents !) films à l'affiche chaque semaine. Pas besoin de penser. Nous arrivions au milieu d'un film ou à la fin de l'autre. Qu'importe. On pouvait rester aussi longtemps que l'on voulait et voir le début d'un film deux heures après avoir vu sa fin en arrivant. Des westerns, des films de guerre, des policiers, parfois une comédie ou de la SF, rarement un mélo. Les courts-métrages obligatoires entre les deux grands films, quelques réclames, un esquimau glacé en début de mois quand nous étions en fonds ou pour tenter d'amadouer une copine rétive.

De ces films, ces séries B à Z, nous ne trouvions rien à dire dans la boîte à outils du ciné-club. Nous allions au cinéma permanent presque en cachette, tant il était éloigné de notre prétention... Un peu honteux de penser que Costa Gavras aurait pu savoir notre trahison, honteux d'aller au cinéma simplement pour se distraire.

En semaine, avant midi, c'était tarif réduit sur un billet déjà bradé au prix normal. Le cinéma permanent n'avait pas les moyens de vendre ses places bien cher. Nous n'avions que le mercredi matin de libre pour cette overdose de films à prix cassé.

Des groupes de secrétaires et de vendeuses venaient se mettre à l'abri dans le cinéma permanent les jours de pluie. Pendant leur pause de midi, elles montaient au balcon pour grignoter et poursuivre leurs conversations. Personne ne leur a jamais demandé de se taire, ni même d'arrêter de ronger. Le projectionniste montait le son. Il réveillait quelques vieux habitués du parterre. Ils grommelaient un moment, puis retournaient à leurs rêves.

Je me souviens que dans un cinéma, les places les moins chères étaient au balcon et que dans un autre , c'étaient celles du parterre. Je n'ai jamais compris pourquoi. Puis ils sont passés au tarif unique avant de devenir des multi-salles.

Et voilà la petite salle d'une commune de la périphérie. Elle projetait des films pornos en semaine et des films d'Art et d'Essai le samedi soir. C'est un souvenir trouble que d'avoir vu Loulou de Pabst dans une salle où d'autres (ou les mêmes ?) avaient vu Infirmières en chaleur le soir précédent.... De l'art délicat de passer des entrecuisses aux accroche-coeurs...



Le Journal d'une fille perdue n'a jamais été programmé dans cette salle. J'aime à imaginer que c'est parce que ses exploitants ne voulaient dérouter ni l'une, ni l'autre de leurs fidèles clientèles. Ils avaient le sens des convenances et du tiroir-caisse. Le samedi soir, il n'y avait pas de réductions, ni de vendeuses bavardes. En semaine non plus.
Je n'ai vu ce film que des années plus tard, dans le confortable entre-soi de l'auditorium d'un musée d'art moderne. Sans réduction (j'étais invité, comme tout le monde), ni secrétaires rongeuses, mais avec un vrai pianiste.
La petite salle de périphérie avait fermé depuis des années.



J'aurais dû dérouler la filmographie de Silvana Mangano. Je ne l'ai pas fait. Je me suis perdu dans un tsunami de souvenirs.

Le visiteur patient, s'il est arrivé jusque là, aura au moins échappé à la sémiologie du Daisy Duke, ce lointain descendant du short de Silvana Mangano.


Je débusquais en moi, sous la défroque clinquante du "brillant jeune homme", le vieil imposteur, le tricheur à qui la verve et la rapidité de son débit, sinon de son intelligence, ont permis de jeter de la poudre aux yeux d’un public étourdi par ses astuces de bonimenteur et de parade foraine. Jean-Louis Bory


Merci de votre passage.

NOTES 

Note 1 : Qui se souvient que Georges Charensol a écrit un article sur Fernand Léger (alors peintre cubiste) dans un numéro du Petit Journal de... décembre 1924 ?
Je l'ignorais bien sûr, à l'époque et jusque il y a quelques jours. Cet article est exposé dans une vitrine de l'exposition Fernand Léger du Centre Pompidou à Metz.

Note 2 : Jean-Louis Bory, cinéphile tiers-mondiste sincère fut aussi un ami de Chardonne et de Morand. Comme nous n'avions rien lu de lui (et surtout rien de Chardonne ou de Morand), nous ne pouvions que l'ignorer.

2 commentaires:

  1. On passe commande d'un innocent ruisseau et on reçoit un fleuve.
    Mille fois merci
    .
    Deux commentaires...
    Ayant quitté Paris fin 69 j'y suis revenu en 77. J'ai pris de plein fouet le massacre de toutes les petites salles de quartier. Je ne les ai pas vues disparaitre peu à peu . Elles étaient là, elles n'y étaient plus ...et le Porno partout.
    ...
    Pendant ces années là c'est à Poitiers que j'ai vu la belle Silvana dans Violence et Passion une pure merveille de Visconti.
    Si ce n'est sa présence incongrue dans "Dune" pour raisons familiales sans doute.Elle accumula les titres de gloire.

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