vendredi 11 août 2017

LE SON DE SES SANGLOTS ET DU VA-ET-VIENT DE L'OCÉAN

Jane Fonda dans le rôle de Gloria


— Vous avez des enfants à vous, mesdames ? demanda Gloria, quand la porte se fut refermée.

— Nous avons chacune des filles adultes, répondit Mme Highby.

— Savez-vous où elles sont, ce soir, et ce qu’elles font ?

Elles ne répondirent ni l’une ni l’autre.

— Je peux peut-être vous en donner une vague idée, fit Gloria. Tandis que les nobles âmes que vous êtes sont ici en train d’accomplir leur devoir auprès de gens qu’elles ne connaissent pas, vos filles sont probablement en train de se saouler chez un type quelconque.


Mme Highby et Mme Witcher sursautèrent ensemble.

— C’est en général ce qui se passe avec les filles des gens qui veulent réformer les autres, poursuivit Gloria. Tôt ou tard elles y passent toutes et elles ne sont pas assez dessalées pour éviter de se faire coller un gosse. Vous les chassez de chez vous avec vos maudits sermons sur la vertu et la pureté, et vous êtes trop occupées à fouiner dans les affaires des autres pour leur apprendre les choses qu’elles devraient connaître.

— Par exemple !… s’exclama Mme Highby, dont le visage s’empourprait.

— Ça, ça alors ! fit Mme Witcher.

— Gloria, dis-je.

— Il est grand temps que quelqu’un vous dise vos quatre vérités, à vous et à vos pareilles, reprit Gloria, se déplaçant et s’adossant à la porte, comme pour les empêcher de sortir, et je suis tout indiquée pour le faire. Vous êtes le genre de salopes qui se faufilent dans leur boudoir pour lire des livres cochons et se raconter des histoires dégueulasses et qui n’ont de cesse qu’elles aient gâché le plaisir des autres.

— Ôtez-vous de cette porte, ma fille, et laissez-nous sortir d’ici ! vociféra Mme Highby. Je refuse de vous écouter. Je suis une femme respectable. J’enseigne le catéchisme.

— Je ne bouge pas d’un pouce avant d’avoir fini, dit Gloria.

— Gloria !

— Toutes vos ligues de vertu, de morale et tous vos foutus clubs féminins, continua-t-elle, m’ignorant complètement, pleins de vieilles fouineuses et de punaises de sacristie qui n’ont pas rigolé depuis vingt ans et qui piquent une jaunisse quand elles voient que les autres se paient un peu de bon temps… Pourquoi les vieilles peaux comme vous ne s’arrangent-elles pas pour se soulager une fois de temps en temps. C’est ça qui vous tracasse et vous rend comme ça

(...)


Gloria claqua la porte derrière elles, puis elle s’assit dans un fauteuil et se mit à sangloter. Elle se couvrit le visage de ses mains et essaya de refouler ses larmes, mais en vain. Elle se pencha lentement en avant, pliée en deux, secouée de soubresauts convulsifs, comme si elle avait entièrement perdu le contrôle du haut de son corps. Durant un long moment il n’y eut dans la pièce pas d’autre son que ses sanglots et le va-et-vient de l’Océan qu’on entendait par la fenêtre entrouverte.

Horace McCoy - On achève bien les chevaux (1935). Traduction de Marcel Duhamel

Traduction libre : Pose ton cul et haïs un paquet de gens.

Petites notes sans importance... sauf pour moi.

Ce billet a son histoire comme tous les billets.

C'est une autre scène du roman On achève bien les chevaux - je ne me souviens pas d'avoir vu le film - que j'avais en mémoire. Celle où Robert se place dans un coin de la piste de danse pour profiter d'un triangle de soleil. Je me souvenais d'une longue description. En fait, elle tient en quelques lignes. La mémoire est un piètre complice.

Il y a quelques temps, j'ai mis en ligne un billet bâclé sur les Dance Marathons (une dizaine de photos). Furtif, en visiteur du soir exigeant, m'a fait remarquer que c'était bien léger. Torché à la va-vite, comme le billet d'un mastulu mitoyen. Ça l'était.
Depuis, j'y ai ajouté une bibliographie aléatoire, une vidéo d'époque et un extrait du roman de McCoy (pompé sur la 4ème de couverture de l'édition Folio). Le billet fait meilleure figure après ces modifications.

D'où l'envie de relire On achève bien les chevaux...
Dans cet extrait, Gloria est confrontée à deux militantes d'une ligue de vertu, des ancêtres de ces tricheurs qui ne vivent que pour diffuser leur moraline - l'Évangile avarié des Forces du Bien - , se donner une bonne conscience et pouvoir briller dans les cercles des petits bourgeois déclassés.

C'est Gloria que j'aime, même si c'est une garce cafardeuse. C'est Robert que j'aime, parce qu'il voit les rayons de soleil et entend le bruit de l'Océan. Je les aime parce qu'à leur manière, ils ont vécu le grand amour !

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