lundi 25 décembre 2017

San Baudelio et ses fresques baladeuses

J'ai rencontré l'ermitage de san Baudelio de Berlanga au détour d'une lecture (Alain Guerreau. Le féodalisme, un horizon théorique).

On ne sait que peu de choses sur ses origines et même l'époque de sa construction fait débat. Si la plupart des spécialistes le datent de la fin du XIème siècle (vers 1085), quelques uns le datent du début du Xème siècle (vers 912).



Pour les besoins d'une comparaison (à mon sens un peu artificielle) entre le centre (Abbaye de Cluny) et la périphérie, A. Berreau écrit :
A une soixantaine de kilomètres au sud-ouest de Soria, à l'extrémité orientale du plateau de Nouvelle-Castille, dans le repli d'une petite vallée sèche perpendiculaire au rio Escalote, affluent méridional du Duero, au milieu d'un paysage décharné et violemment coloré par les strates sédimentaires bariolées ravinées en bad-lands, se dresse une petite construction cubique d'allure presque anodine : l'ermitage de San Baudelio de Berlanga. (Jacques Fontaine, L'art préroman hispanique : l'art mozarabe, 1977, pp. 227-246, planches 86-94).



La description interne en est difficile. La partie principale du bâtiment dans laquelle on pénètre par une unique porte sur le flanc nord, est à peu près carrée (7,5x8,5 m) ; en son centre, un grand pilier se termine par un faisceau en forme de palmier, dont les branches recouvrent le carré ; sur la droite quand on entre, c'est-à-dire dans le fond de l'édifice, occupant la moitié du carré et accolée au pilier central, s'élève jusqu'au tiers de la hauteur intérieure une sorte de «mini-mosquée» soutenant une tribune à laquelle on accède par un petit escalier ; sur cette tribune, accolée encore au pilier central, se dresse une sorte de petite cabine en pierre ; au sommet du pilier, entre les «branches du palmier» est aménage un autre petit réduit surmonté lui-même d'une mini-coupole de style musulman. A l'est du cube principal s'ouvre une petite abside très légèrement surélevée, et elle-même à peu près cubique. Enfin, dans le mur oriental de l'édifice, à l'opposé de la porte, et sous la «mini-mosquée», une ouverture assez basse donne accès à une grotte (l'église est construite sur une pente) composée de plusieurs petites salles successives taillées dans la roche. 

Au total, cet ensemble est divisé, en plan, en trois parties : la grotte, le carré et l'abside ; en élévation, également trois parties : le niveau du sol, la tribune, et le petit kiosque au sommet du pilier. On voit donc que cet édifice, malgré ses dimensions minuscules, est d'une complexité très étrange; à cela s'ajoute un ensemble de fresques très étrange également, et que je renonce à décrire (on y voit un chameau, un éléphant, des saints, etc.). J. Fontaine écrit : «franchie la double porte à la courbe mauresque, on sort de ce désert pierreux pour entrer dans les fantasmes d'une architecture de rêve. Le mirage est ici à l'intérieur, comme il se doit en ce logis mystique des descendants spirituels de saint Antoine. Dès longtemps, la singularité des structures internes de cet édifice a intrigué et même déconcerté les archéologues qui ont tenté de se l'expliquer. Pourtant la parenté de son parti avec les grands thèmes symboliques du «paysage ascétique», tels qu'ils apparaissent dans la littérature monastique des premiers siècles, nous paraît offrir un principe d'explication, à la fois adéquat à son objet et fort éclairant, de chacun des éléments de cette architecture»
L'édifice fut donc probablement conçu et réalisé pour servir de terrain de «parcours mystique» : la configuration repose sur des symboles qu'on retrouve dans les fameux Beatus de la même époque. L'unicité absolue de l'édifice suppose à la fois une hardiesse d'imagination et une sorte de groupe d'initiation anachorétique également unique.
San Baudelio fut construit sans doute au XIe siècle dans l'espace incontrôlé et dangereux qui séparait le royaume chrétien des terres musulmanes. Si l'on admet que le palmier était ici l'image matérialisée de l'échelle mystique de la terre à Dieu, on en arrive à la conclusion qu'aux confins du système, le christianisme se muait en une sorte d'individualisme mystique refermé sur lui-même et cherchant à abolir par ses seules forces la distance de l'homme à Dieu.

C'en était assez pour me lancer dans un voyage virtuel qui me mena en Nouvelle-Castille et au Prado, mais aussi à Boston, New York, Cincinnati et Indianapolis !


Si l'architecture du lieu est fascinante (pour les amateurs, voir les liens dans la bibliographie aléatoire), il me fallut bien vite déchanter. La plupart des fresques ne sont plus en place !



L'ermitage de san Baudelio de Berlanga a été classé monument historique national en 1917. C'était déjà une ruine à laquelle il manquait le toit quand Juan Cabré Aguilo la visita à cette époque.

Credit : http://pablofont.blogspot.fr/2016/04/san-baudelio-enigmas-magia-y-expolio-en.html


La plupart des fresques ont été déposées et transférées sur toile vers 1926. Elles ont alors été vendues et ont fini leur périple dans plusieurs musées des États-Unis.

1) Cincinnati Museum of Art 


Noli me tangere (ne me touche pas) Jésus et Marie-Madeleine



2) Museum of Fine Arts (Boston)

La sainte Cène
Sur la photo de la cène, il manque une frise (en bas)

Les trois Marie devant le tombeau

3) Museum of art (Indianapolis)

Les noces de Cana

L'entrée du Christ dans Jérusalem

4) MET - Cloisters (New York)

La guérison de l'aveugle et Lazare ressuscité

La tentation du Christ par le démon


Un chameau
5) Exposés au Musée du Prado (Madrid), mais toujours dans l'inventaire du MET - Cloisters

Quelques fresques sont revenues des USA en 1957, en échange du prêt de l'abside romane de l'église saint Martin de Fuentiduena !
Elles sont maintenant en dépôt permanent au musée du Prado.
Un guerrier

La chasse au lièvre

Un éléphant


Un ours

La chasse au cerf

Panneau décoratif avec des aigles



Petite bibliographie aléatoire :
- Pedro Navascues Palacio. Les péripéties de la vente des peintures .Descubrir el arte, n°3, 1999 (pdf en espagnol)
- Margarita Gonzales Pascual. La restauration du palmier (pdf en espagnol)
- José Garnelo. Description des peintures murales qui décorent l'ermitage de San Baudelio - 1924 (pdf en espagnol, avec des photos des fresques).
- Juan Zozaya. Observations sur l'ermitage de san Baudelio. 1976 (pdf en espagnol de 43 pp. avec des plans et des coupes. Accès sur inscription gratuite).
- Rocio Baselga Bellosillo. Planimétrie de l'ermitage de san Baudelio. 2017 (pdf en espagnol, nombreux plans et illustrations)
- Le site Turismo-Prerromanico avec une page en français très complète.
- Manuel Anibal Alvarez & Jose Ramon Melida. Un monumento desconocido. La Ermita de San Baudelio en término de Casillas de Berlanga. 1907 (pdf en espagnol via la bibliothèque digitale de Catilla y Leon). La première description savante de l'ermitage avec des photos.

Pour finir, une reconstitution en 3D de l'intérieur l'ermitage.



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Personne ne me l'a demandé, je fais donc la question et les réponses tout seul.
Mais qui était donc Saint Baudile ?
Il était originaire d'Orléans (!) et il fut martyrisé à Nîmes.

Vitrail de la cathédrale de Nimes


ANNEXE 1

Bausile, enfant de la Gaule narbonnaise, avait servi dans les armées gallo-romaines.

Son âme s'était ouverte de bonne heure aux enseignements du Christ: à en juger par l'ardeur de sa foi, on ne peut pas douter qu'il n’ai recueilli ces enseignements de la bouche même des apôtres. Il vint à Nîmes, accompagné de sa femme, sur la fin du troisième siècle, pendant le règne de Dioclétien, sous le gouvernement de Maximien-Hercule, féroce proconsul de cet empereur.

Se promenant un jour, dans une forêt, non loin des murs de la ville, cet homme de Dieu se trouva en face d'une foule d'habitants occupés à offrir des sacrifices à leurs fausses divinités. Comme il parut étranger, on voulut savoir qui il était : nouveau Polyeucte, le serviteur de Dieu répondit avec fermeté qu'il appartenait à Jésus-Christ. Les païens le pressent de participer aux sacrifices offerts à leurs idoles : Bausile résiste ; il les exhorte eux-mêmes à renoncer à leur superstition, à ouvrir les yeux aux lumières du christianisme. La fureur de la multitude augmente, on se jette sur lui, on le bat, on lui fait souffrir toutes sortes de cruautés. Bausile, que la grâce et l'amour rendent insensible à la crainte et à la douleur, reste inébranlable; il ne cesse de confesser hautement le nom du Christ. Cette persévérance met le comble à la fureur : on lui tranche la tête à peu de distance de là, dans ce lieu. auquel on a donné depuis le nom des Trois-Fontaines.

Le corps du saint fut recueilli par sa femme et inhumé, conformément à sa recommandation, à sa volonté suprême, dans le lieu même où s'était accomplie cette cérémonie païenne, cause première de son noble martyre.

Auguste Pelet - 1864

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ANNEXE 2

Les souvenirs que nous avons recueillis à travers les siècles, les lieux qu'il arrosa de son sang et qui gardèrent sa tombe. Suivons cette avenue spacieuse, aux pentes adoucies, qui conduit à l'oratoire des Trois-Fontaines.

Nous remarquons sur la droite quelques vestiges de l'ancien rempart romain qui couronnait ces collines et allait se rattacher à la Tourmagne. Il était debout, quand St Baudile vint attaquer le culte des idoles. Une dépression du sol indique le lieu qui fut témoin du martyre du Saint. Ces collines, envahies par la culture de la vigne, étaient autrefois couvertes d'un bois de chênes.

Ce site, dominé par les hauteurs voisines, était propice pour les sacrifices du paganisme. Représentons nous la foule, groupée sur les flancs de la colline et le long des murailles , contemplant d'un regard avide cette fête païenne. L'autel s'élevait au centre de ce cirque formé par la nature. C'est là que les prêtres des idoles conduisaient les victimes qu'ils allaient immoler. C'était la fête des Agonales, célébrée en l'honneur de Vejovis, ou Jupiter enfant, le 12 des calendes de juin (21 mai).

On voit tout à coup apparaître un étranger qui, d'une voix indignée, reproche à la foule assemblée sa superstition et veut renverser l'idole â laquelle on destine ce sacrifice. On comprend le frémissement, de la multitude païenne en entendant cet étrange langage.

Elle répond par un cri de mort à cette insulte faite à ses dieux, et à la place des victimes préparées, c'est la tête du saint martyr qui tombe sous la hache des sacrificateurs. D'après une tradition populaire, elle rebondit trois fois sur le sol, et chacun de ses bonds fit jaillir une source. 

Abbé Azaïs. 1872




1 commentaire:

  1. Il me semble qu'il y a quelqu'un qui , il y a peu , me parlait de complexité complexe...
    Ouachte!
    Autant de choses en un si petit espace....!
    Et le PDF espagnol de planimètrie qui ne veut rien savoir....
    J'essaierai demain

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