samedi 5 mai 2018

André SALMON - L'affaire Weiller (1928-1929)


Le drame de la rue Chalgrin devant les Assises de la Seine (29 octobre 1929)




C'est demain mercredi que comparaîtra devant le jury de la Seine, les débats étant présidés par le conseiller Warrain, Mme Jane Weiller, née  Boyer, qui, le 14 décembre 1928, tua à coups de revolver son troisième mari, l'ingénieur Weiller. Le drame eut lieu au domicile conjugal, rue Chalgrin. Ce fut après une nuit assez agitée, de « boite en boite » une nuit dont certains disent qu'elle fut une nuit d'orgie.

Se souvient-on ? Ah oui « l'affaire du bal nègre de la rue Blomet»  le « scandale de Montparnasse » !





Mais à Montparnasse, où ils n'auraient fait que passer ce soir-là, les époux Weiller n'étaient nulle part connus comme des habitués. Quant au bal nègre voici ce qu'un excellent écrivain antillais, NI. Brutus Hermancet, en dit à propos de l'intrusion des blancs « Ils sont bien gentil, mais leur présence apporte une atténuation à la pureté de la belle fête noire ! » Si l'on était assuré d'entendre tous les témoins s'exprimer chacun avec une si élégante décence, les instants de huis clos qu'il a fallu prévoir seraient tout à fait inutiles.

Est-ce pour donner raison à M. Brutus Hermancet que les époux Weiller invitèrent, rue Blomet, une danseuse martiniquaise venir consommer avec eux dans un bar de Montparnasse ? Ce qui est certain c'est que Mme Jane Weiller n'a pas invoqué la jalousie pour expliquer son crime. A l'aube de la fatale nuit,  les époux regagnèrent seuls leur appartement et, cet instant, aucune querelle ne semble avoir éclaté entre eux.



Au fait, peut-on admettre que s'il y avait eu dispute, Mme Weiller, déjà divorcée deux fois, n'ait pas eu assez d'expérience pour savoir la clore autrement qu'à coups de revolver ?

- J'ai eu peur!

Ainsi tente de se justifier celle qui, le drame accompli, téléphona elle-même pour alerter la police.

Mme Jane Weiller dit, et son éminent défenseur Me de Moro-Gaffieri le répétera, que son mari était dans un état pathologique qui faisait de lui, à de certaines heures, un homme dangereux. Quelles discussions vont s'ouvrir là-dessus. Weiller était-il simplement déprimé, usé par une vie de plaisirs excessifs? Tellement à bout de nerfs qu'on le savait - et ceci se retournerait contre l'épouse meurtrière - incapable d'aucune défense ? Etait-il, aviateur trépané, diminué par sa terrible blessure ? Allons donc ! a-t-on riposté, Weiller n'a seulement jamais été au front.

Si l'on songe qu'à l'éloquence du défenseur la famille du mort, partie civile aux débats, opposera l'éloquence de Me Campinchi, on imagine aisément quelles passes d'armes devront suivre les pauvres jurés de la Seine pour achever de se faire une opinion. Tous les torts sont-ils du côté de l'accusée ? Weiller était-il sans situation et sans ressources, ne comptant que sur les subsides des siens? Qui eut le premier le goût de cette existence irrégulière ? Autant de questions douloureuses auxquelles il ne sera pas toujours aisé de répondre clairement.

Le matin du 13 décembre les époux s'étaient adressé de violents reproches et ce serait pour fêter la réconciliation qu'on aurait décidé « la bombe » sur la rive gauche. Aucun témoin ne sera là pour dire ce que fut le retour à 4h du matin. Si l'on en croit Mme Jane Weiller, le mari se coucha vite, s'endormant dans un profond sommeil. Mais c'était pour se réveiller brusquement et se jeter hors du lit en proie à une de ces crises dont la jeune femme dira devoir tout redouter.

- Il voulait me tuer ! soutient-elle : il me tenait par les bras, il vociférait des menaces.

Soudain, l'ingénieur quitta la chambre. C'est alors que sa femme s'arma d'un revolver. Lorsque Weiller reparut « toujours menaçant, les mains en avant » selon l'accusée, Mme Weiller fit feu. Par deux fois. Une balle atteignit le poumon, une autre la gorge. Weiller s'était écroulé. Alors Mme Jane Weiller se pencha sur son mari et, d'une troisième balle logée à bout portant dans la tête, l'acheva.

- J'ai voulu, dit-elle, lui épargner une horrible agonie !

Encore qu'indirect, il y a tout de même un témoin du drame : la femme de chambre. Sa déposition sera terrible. Elle n'a pas entendu son maître menacer; en revanche, elle l'a entendu supplier :

- Didi !... Tu es folle !

- Un homme qui supplie ainsi, dira l'accusation, n'est pas trop redoutable.

Comme les puissances du mal qui s'emparent des misérables humains ne se contentent pas aisément, il fallait qu'il y eût, à côté de la chambre d'amour devenue la chambre de mort sanglante, une fillette de deux ans reposant dans son berceau !

Un adroit défenseur compose avec tout. Me de Moro-Giafferi montrera sa cliente tremblant pour son enfant en face du père titubant d'inconscience.

- Vous avez tiré trois fois ! répliquera implacable le ministère public.

Un mot pour finir et décourager les curiosités : devant indiscrète des blancs, les danseurs de « biguine  » ont déserté la rue Blomet, errant de salle en salle pour dépister les dangereux indésirables.

André Salmon - Le drame de la rue Chalgrin devant les Assises de la Seine (Le Petit Parisien, 29 octobre 1929)

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