mercredi 29 septembre 2021

Alfred Jarry - La chanson du décervelage

 Je ne sais pas si c'est encore autorisé...


La Chanson du décervelage (1898)
 
Je fus pendant longtemps ouvrier ébéniste,
Dans la ru’ du Champ d’Mars, d’la paroiss’ de Toussaints.
Mon épouse exerçait la profession d’modiste,
  Et nous n’avions jamais manqué de rien. —
  Quand le dimanch’ s’annonçait sans nuage,
  Nous exhibions nos beaux accoutrements
  Et nous allions voir le décervelage
  Ru’ d’l’Échaudé, passer un bon moment.
              Voyez, voyez la machin’ tourner,
              Voyez, voyez la cervell’ sauter,
              Voyez, voyez les Rentiers trembler ;
(Chœurs) :  Hourra, cornes-au-cul, vive le Père Ubu !
 
 

 
Nos deux marmots chéris, barbouillés d’confitures,
Brandissant avec joi’ des poupins en papier,
Avec nous s’installaient sur le haut d’la voiture
  Et nous roulions gaîment vers l’Échaudé. —
  On s’précipite en foule à la barrière,
  On s’fich’ des coups pour être au premier rang ;
  Moi je m’mettais toujours sur un tas d’pierres
  Pour pas salir mes godillots dans l’sang.
              Voyez, voyez la machin’ tourner,
              Voyez, voyez la cervell’ sauter,
              Voyez, voyez les Rentiers trembler ;
(Chœurs) :  Hourra, cornes-au-cul, vive le Père Ubu !
 
 
Bientôt ma femme et moi nous somm’s tout blancs d’cervelle,
Les marmots en boulott’nt et tous nous trépignons
En voyant l’Palotin qui brandit sa lumelle,
  Et les blessur’s et les numéros d’plomb. —
  Soudain j’perçois dans l’coin, près d’la machine,
  La gueul’ d’un bonz’ qui n’m’revient qu’à moitié.
  Mon vieux, que j’dis, je r’connais ta bobine,
  Tu m’as volé, c’est pas moi qui t’plaindrai.
              Voyez, voyez la machin’ tourner,
              Voyez, voyez la cervell’ sauter,
              Voyez, voyez les Rentiers trembler ;
(Chœurs) :  Hourra, cornes-au-cul, vive le Père Ubu !
 
 
Soudain j’me sens tirer la manch’ par mon épouse :
Espèc’ d’andouill’, qu’ell’m’dit, v’là l’moment d’te montrer :
Flanque-lui par la gueule un bon gros paquet d’bouse,
  V’là l’Palotin qu’a just’ le dos tourné. —
  En entendant ce raisonn’ment superbe,
  J’attrap’ sus l’coup mon courage à deux mains :
  J’flanque au Rentier une gigantesque merdre
  Qui s’aplatit sur l’nez du Palotin.
              Voyez, voyez la machin’ tourner,
              Voyez, voyez la cervell’ sauter,
              Voyez, voyez les Rentiers trembler ;
(Chœurs) :  Hourra, cornes-au-cul, vive le Père Ubu !
 
 
Aussitôt j’suis lancé par-dessus la barrière,
Par la foule en fureur je me vois bousculé
Et j’suis précipité la tête la première
  Dans l’grand trou noir d’ous qu’on n’revient jamais. —
  Voilà c’que c’est qu’d’aller s’prom’ner l’dimanche
  Ru’ d’l’Échaudé pour voir décerveler,
  Marcher l’Pinc’-Porc ou bien l’Démanch’-Commanche,
  On part vivant et l’on revient tudé.
              Voyez, voyez la machin’ tourner,
              Voyez, voyez la cervell’ sauter,
              Voyez, voyez les Rentiers trembler ;
(Chœurs) :  Hourra, cornes-au-cul, vive le Père Ubu !

2 commentaires:

  1. Quand on peut rendre service.
    Version musicale
    Mais....
    Le sentiment que la Chanson "Paris Paris" du fim Viva Maria joue plus qu'un peu avec les réminiscences

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  2. Merci Furtif,
    en musique c'est encore mieux !

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