vendredi 3 février 2017

Armand ROBIN - Éluard, cet archange pour dames millionaires

Très tôt Armand sut à quoi s'en tenir avec Paul Éluard. Dès septembre 1943, il écrivait :
Son oeuvre fut police; elle représente très exactement l'opération la plus subtile qu'on put mener contre l'occupation du monde par les pauvres.
Ce mépris justifié n'est peut-être pas étranger à l'inscription d'Armand Robin sur la liste noire du Comité National des Écrivains (CNE) au lendemain de la Libération.




La rafale Lénine rafla par la barbare Europe la dernière âme : les «hommes de rien» créèrent la création; puissants d'un infini labeur obscur, ces termites prirent  tout le dedans en tout, ne laissèrent que périphérie aux bourgeois sauvages.

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Narguant ouvriers et paysans, Éluard décréta que ce rien était tout. Flamboyant d'un faux nom filouté à l'éclair, à l'éclat, à la lueur, cet archange pour dames millionnaires ne songea que d'affermir en Éden le dérisoire désert désensibilisé où nous déjetâmes les déchus; il somma l'esprit d'émigrer en ce Coblentz de sable; sur cette lisière friable il osa fonder un couvent de diamant où réduire la poésie à faire vœu de luxe; il ouvrit une orfèvrerie où tailler en cristal l'extrême bord qu'en chaque objet nos mépris marquaient de mort; au Sahara du capitalisme finissant il fabriqua trente ans, sous l'étiquette «poèmes», des épouvantails à terrifier le vert.

Son œuvre fut police: elle représente très exactement l'opération la plus subtile qu'on pût mener contre l'occupation du monde par les pauvres; elle fut, allègrement, contre-révolution. L'instant d'avant connaître grande aube entre les bras splendides des travailleurs, toutes les douces choses furent appréhendées, saccagées de leur sens, affublées de chiffons violemment voyants, traînées par une nuit d'ombres factices, mises au sec comme poupées à lueurs défuntes dans les salons des mauvais riches. Des «jeux de vérité» furent suscités pour moucharder le vrai; par haine de la foi, de la force, de la fraîcheur et de la fierté prolétariennes, des bacchanales   d'abstrait furent déchaînées; sous l'étendard du marquis de Sade, des expéditions punitives égayées de tortures narquoises furent concertées contre les plantes, les plaines, les usines, les rues, suspectes de loyalisme envers leur vérité et leur humanité; pour offenser les roses, telles que les doigts de la rosée les tiennent, Éluard loin d'elles faute d'elles figea leur fantôme en crime:
Rose pareille au parricide.

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La poésie surtout fut châtiée; Éluard perçut que bientôt elle ne viendrait que du peuple et que les plébéiens, à  l'instant de saisir le paradis des hymnes, y porteraient une puissance d'âme innocemment si triomphale, une tendresse tenacement si terrible que soudain la perfection et la grandeur éclateraient à neuf, aube dictatoriale, au-dessus des derniers bégayements bourgeois.

Il espéra contre tout espoir faire tomber du poing des prolétaires leur volonté de restaurer dans les chants la force et la simplicité; clamant poétiques les seules minauderies des esprits réduits, criant croisade de riche en riche contre les voix ouvertes aux vents, il se fit missionnaire d'une religion de la petitesse.

Ses écrits furent descriptifs, didactiques: cadavres incertains sous les joyaux imposés, riens momifiés dans les postures que les mauvais riches aimaient, les derniers éléments restés serviles furent alignés sous de flamboyantes vitrines, au-dessus d'eux des titres enseignant avec superbe leur teneur en or. De page en page, monotone mercuriale en langage chiffré, Éluard indiqua la cote de chaque objet à cette bourse des sentiments mondains dont les ouvriers et les paysans menaçaient d'ébranler les colonnes; ses poèmes furent «leçons de choses» pour les ultimes heures de classe à l'école primaire du luxe. Il voua tout son quart de voix à nommer un monde moribond.

Tinte l'heure de paraître devant les fleurs et les cœurs en vie ! Brusque gui grignotant, leur cri l'agrippe à la gorge: ils sont trop chantants pour qu'on s'en taise, il est trop peu chantant pour que leur bruit buissonne en lui. Que faire ? Un poème vrai campe pour une fois en travers de son gosier; par une soudaine ruse, notre Tartuffe d'extrême-onction crache loin de sa gorge ce splendide jugulement; il relègue dans un futur abusif l'hymne urgent, lui promet une fête à la semaine des quatre dimanches: 
Je nommerai ton front
J'en ferai un bûcher au sommet de tes sanglots
Je nommerai reflet la douleur qui te déchire.

Le chant ne lui parut qu'un accident, un accessoire, un inévitable et dérisoire compagnon; il prêchait que l'annonce d'un poème en constitue la dispense et que, présentée selon quelque rite impérieux, l'œuvre poétique se trouve déjà faite, parfaite! Quant aux  images, sevrées de nécessité au point d'être indéfiniment interchangeables, elles lui furent un jeu de trente-deux cartes à faire sauter en tout sens sans que jamais un seul point dans ce déplacement fût réel. Il tint pour suspects tous les poèmes vrais, sentant bien qu'ils étaient pour tous  et non plus seulement pour quelques riches dames  aux goûts précieux et petits.

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Que trente ans Éluard ait été renommé grand poète sera scandale pour tout l'avenir; mystère pourtant bien clair: il donna sa vie pour assurer un sursis à ce que la propreté prolétarienne poussait au néant; trente ans il fut l'agent apparemment lambinant de ces possédants qui, ne pouvant davantage tenir la création, voulurent du moins la punir. Vint un jour l'oppression étrangère sur la France: profitant de la présence des tyrans, il crut pouvoir impunément piller les songes sacrés du peuple afin d'en ravitailler les mauvais riches. Dans le règne universel et général créé par le génie prolétarien, sa tombe fut laissée sans vert.

Armand ROBIN - Texte envoyé à Jean PAULHAN dans une lettre du 6 septembre 1943

D'autres texte d'Armand Robin sur armandrobin.org

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