Très tôt Armand sut à quoi s'en tenir avec Paul Éluard. Dès septembre 1943, il écrivait :
Son oeuvre fut police; elle représente très exactement l'opération la plus subtile qu'on put mener contre l'occupation du monde par les pauvres.
Ce mépris justifié n'est peut-être pas étranger à l'inscription d'Armand Robin sur la liste noire du Comité National des Écrivains (CNE) au lendemain de la Libération.
La
    rafale Lénine rafla par la barbare Europe la dernière âme : les «hommes de rien»
    créèrent la création; puissants d'un infini labeur obscur, ces termites prirent  tout le dedans en tout, ne laissèrent que
    périphérie aux bourgeois sauvages.
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Narguant ouvriers et paysans,
    Éluard décréta que ce rien était tout. Flamboyant d'un faux nom filouté à l'éclair,
    à l'éclat, à la lueur, cet archange pour dames millionnaires ne songea que d'affermir
    en Éden le dérisoire désert désensibilisé où nous déjetâmes les déchus; il somma
    l'esprit d'émigrer en ce Coblentz de sable; sur cette lisière friable il osa fonder un
    couvent de diamant où réduire la poésie à faire vœu de luxe; il ouvrit une
    orfèvrerie où tailler en cristal l'extrême bord qu'en chaque objet nos mépris
    marquaient de mort; au Sahara du capitalisme finissant il fabriqua trente ans, sous
    l'étiquette «poèmes», des épouvantails à terrifier le vert.
Son œuvre fut police: elle
    représente très exactement l'opération la plus subtile qu'on pût mener contre
    l'occupation du monde par les pauvres; elle fut, allègrement, contre-révolution.
    L'instant d'avant connaître grande aube entre les bras splendides des travailleurs,
    toutes les douces choses furent appréhendées, saccagées de leur sens, affublées de
    chiffons violemment voyants, traînées par une nuit d'ombres factices, mises au sec comme
    poupées à lueurs défuntes dans les salons des mauvais riches. Des «jeux de vérité»
    furent suscités pour moucharder le vrai; par haine de la foi, de la force, de la
    fraîcheur et de la fierté prolétariennes, des bacchanales
      d'abstrait furent déchaînées; sous l'étendard du marquis de Sade, des
    expéditions punitives égayées de tortures narquoises furent concertées contre les
    plantes, les plaines, les usines, les rues, suspectes de loyalisme envers leur vérité et
    leur humanité; pour offenser les roses, telles que les doigts de la rosée les tiennent,
    Éluard loin d'elles faute d'elles figea leur fantôme en crime:
Rose
    pareille au parricide.
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La poésie surtout fut châtiée;
    Éluard perçut que bientôt elle ne viendrait que du peuple et que les plébéiens, à  l'instant de saisir le paradis des hymnes, y
    porteraient une puissance d'âme innocemment si triomphale, une tendresse tenacement si
    terrible que soudain la perfection et la grandeur éclateraient à neuf, aube
    dictatoriale, au-dessus des derniers bégayements bourgeois.
Il espéra contre tout espoir
    faire tomber du poing des prolétaires leur volonté de restaurer dans les chants la force
    et la simplicité; clamant poétiques les seules minauderies des esprits réduits, criant
    croisade de riche en riche contre les voix ouvertes aux vents, il se fit missionnaire
    d'une religion de la petitesse.
Ses écrits furent descriptifs,
    didactiques: cadavres incertains sous les joyaux imposés, riens momifiés dans les
    postures que les mauvais riches aimaient, les derniers éléments restés serviles furent
    alignés sous de flamboyantes vitrines, au-dessus d'eux des titres enseignant avec superbe
    leur teneur en or. De page en page, monotone mercuriale en langage chiffré, Éluard
    indiqua la cote de chaque objet à cette bourse des sentiments mondains dont les ouvriers
    et les paysans menaçaient d'ébranler les colonnes; ses poèmes furent «leçons de
    choses» pour les ultimes heures de classe à l'école primaire du luxe. Il voua tout son
    quart de voix à nommer un monde moribond.
Tinte l'heure de paraître devant
    les fleurs et les cœurs en vie ! Brusque gui grignotant, leur cri l'agrippe à la
    gorge: ils sont trop chantants pour qu'on s'en taise, il est trop peu chantant pour que
    leur bruit buissonne en lui. Que faire ? Un poème vrai campe pour une fois en travers de
    son gosier; par une soudaine ruse, notre Tartuffe d'extrême-onction crache loin de sa
    gorge ce splendide jugulement; il relègue dans un futur abusif l'hymne urgent, lui promet
    une fête à la semaine des quatre dimanches:  
Je
    nommerai ton front 
J'en
    ferai un bûcher au sommet de tes sanglots 
Je
    nommerai reflet la douleur qui te déchire.
Le chant ne lui parut qu'un
    accident, un accessoire, un inévitable et dérisoire compagnon; il prêchait que
    l'annonce d'un poème en constitue la dispense et que, présentée selon quelque rite
    impérieux, l'œuvre poétique se trouve déjà faite, parfaite! Quant aux  images, sevrées de nécessité au point d'être
    indéfiniment interchangeables, elles lui furent un jeu de trente-deux cartes à faire
    sauter en tout sens sans que jamais un seul point dans ce déplacement fût réel. Il tint
    pour suspects tous les poèmes vrais, sentant bien qu'ils étaient pour tous  et non plus seulement pour quelques riches dames  aux goûts précieux et petits. 
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Que trente ans Éluard ait été
    renommé grand poète sera scandale pour tout l'avenir; mystère pourtant bien clair: il
    donna sa vie pour assurer un sursis à ce que la propreté prolétarienne poussait au
    néant; trente ans il fut l'agent apparemment lambinant de ces possédants qui, ne pouvant
    davantage tenir la création, voulurent du moins la punir. Vint un jour l'oppression
    étrangère sur la France: profitant de la présence des tyrans, il crut pouvoir
    impunément piller les songes sacrés du peuple afin d'en ravitailler les mauvais riches.
    Dans le règne universel et général créé par le génie prolétarien, sa tombe fut
    laissée sans vert.
Armand ROBIN - Texte envoyé à Jean PAULHAN dans une lettre du 6 septembre 1943
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