mercredi 6 décembre 2017

SAINT NICOLAS et les trois enfants dans une cuvette

LA LÉGENDE DE SAINT NICOLAS - Pourquoi l'on représente auprès de St-Nicolas trois enfants dans une cuvette.




Molanus, docteur de Louvain, est fort embarrassé dans son Traité des Images, de dire pourquoi l'on représente auprès de Saint-Nicolas une cuvette d'où sortent trois jeunes gens. Il ne sait si c'est une figure des personnes injustement condamnées à la mort que Saint-Nicolas délivra, selon que l'a dit Eustathius avant Métaphraste; ou si c'est une représentation mal formée des trois filles qu'il dota; ou enfin si ce n'est pas pour figurer les trois enfants qu'une femme avait taillés en pièces et mis dans un saloir et qui furent ressuscités par le Saint Évêque. Sa prose ou prosule faite au sujet de ce Saint ne parle que d'un enfant qui était en péril sur la mer et non de trois : Vas in mari mersum patri redditur cum filio. Molanus ne sachant à quoi se déterminer sur l'origine de cette peinture, dit qu'il vaudrait mieux représenter Saint-Nicolas comme on fait à présent à Rome et en Italie, c'est-à-dire, lui mettre simplement une dans l'autre son livre, et sur ce livre trois masses d'or, ou espèces de pommes d'or, en mémoire de l'or dont il se servit pour empêcher la chute de trois pauvres filles. Car, dit-il, plus anciennement, les Italiens représentaient encore Saint-Nicolas dans une autre manière , c'est-à-dire, qu'il se contentaient de le représenter sans mitre pour le faire distinguer parmi les autres évêques. Cela était raconté, ajoute-t-il, sur une vieille tradition.


On racontait de ce saint qu'étant au concile de Nicée, un jour qu'il sentit son zèle enflammé plus qu'à l'ordinaire, il s'approcha d'un Arien et lui donna vigoureusement sur la joue, ce qui fit que le concile le priva de l'usage de la mitre et du pallium pour avoir ainsi violé les principes de Saint-Paul qui dit : Non percussorem; c'est de là qu'était venue aux peintres d'Italie l'idée de ne pas donner de mitre à Saint-Nicolas, idées dont ils sont revenus dans ces derniers temps.

Mais il semble que Molanus n'aurait pas hésité à dire que la représentation des trois jeunes gens tous mis auprès de ce saint, vient de ce que souvent on représentait au public réellement et sur le théâtre, l'histoire de la résurrection des trois jeunes gens, qui fut faite par le saint prélat. Il était naturel qu'ils figurassent ensuite les choses comme ils les avaient vu représenter sur le théâtre. Les traditions populaires avaient un peu varié là-dessus puisqu'en certains pays on disait que c'était trois enfants dont les chairs avaient été taillées en morceaux et salées.

Voilà comme ce fait est rapporté dans un manuscrit de l'abbaye de Saint-Benoît-sur-Loire, du XIIIe siècle, qui contient un grand nombre de ces anciennes représentations. 

Ces jeunes gens dont des écoliers que le manuscrit appelle du nom de clercs, car autrefois l'étude et la science s'appelaient la clergie, et les étudiants ou savants étaient des clercs. Ces trois écoliers ou clercs étant surpris par la nuit demandèrent à loger à un vieux aubergiste qui se trouvait sur leur route. Ce vieillard de mauvaise humeur faisant de la difficulté, ils s'adressèrent à l'hôtesse qui n'était pas moins âgée, l'assurant que si elle pouvait obtenir de son mari qu'il leur donnât le couvert, peut-être Dieu permettrait-il qu'elle mit un fils au monde. Les trois écoliers furent retenus à souper et à coucher. C'est sur quoi le rimailleur n'entre dans aucun détail. Je dis rimailleur, parce que ces espèces de tragédies sont écrites en rimes latines et notées en plein chant, comme les anciennes proses.

Les jeunes écoliers étaient dans leur premier somme. Le vieux aubergiste entre dans leur chambre; il prend leurs besaces et persuade sa femme qu'il n'y aurait pas grand mal à s'approprier l'argent qui y est renfermé. Sa femme y consent et ne trouve pas d'autre expédient pour relever leur fortune que de leur faire couper le cou par son mari. C'est une action qui s'opérait derrière la toile du théâtre.

Le rimailleur fait ensuite paraître à la porte de la même auberge, M. Saint-Nicolas qui demande à loger. L'aubergiste après avoir consulté sa femme reçoit Saint-Nicolas sur son air d'honnête homme. Il lui est offert quantité de mets différents. Le Saint dit qu'il ne souhaiterait qu'un peu de viande fraîche. Le vieux cabaretier lui dit :
- Pour de la viande, je vous la donnerai telle que je l'ai, car de la fraîche je n'en ai pas un morceau !
- Ah ! Pour le coup, dit Saint-Nicolas, voilà le dernier mensonge que vous avez fait de la journée, car de la chair fraîche, je sais que vous en avez à foison ! Ah ! Que l'argent fait faire des choses !

Aussitôt l'hôte et l'hôtesse se prosternèrent aux pieds du saint, le priant de leur obtenir le pardon. Le Saint Évêque se fait apporter les trois corps, ordonne au meurtrier de se mettre en pénitence, lui se met en prière et demande à Dieu de les ressuciter. Ils ressuscitent et on chante le Te Deum.

Représenter ainsi la vie d'un Saint, cela s'appelait : jouer le mystère d'un tel Saint. Hémeté en parle dans son Augusta-Veromanduorum. Dom Mabillon raconte qu'il est tombé sur un manuscrit du XIe siècle par un sacristain de l'abbaye du Bec sur les Miracles de Saint-Nicolas.

On sait qu'à mesure que la religion s'est étendue, chacun a voulu avoir des histoires de ses Saints, et que c'est de ces histoires qu'on tirait des morceaux pour composer l'Office propre. Cet usage ne fut admis partout.

Dom Mabillon nous apprend qu'à la Charité-sur-Loire se trouvait un monastère appelé La Croix. Lorsque la fête de Saint-Nicolas se présenta :
- Quel office chanterons-nous ? dirent les moine au Prieur. Nous voudrions bien chanter l'office propre de ce grand Saint-Nicolas.
- Le Prieur s'y refusa, disant que l'on ne le chantait pas à Cluny.
Ils soutinrent que le rite de la Charité devait l'emporter. Quand le Prieur les vit résolus de chanter malgré lui l'office propre de Saint-Nicolas, après les avoir menacés, il leur fit donner discipline. Ce traitement ne resta pas impuni. La nuit étant venue et dom Prieur s'étant couché sur son lit, il lui apparut le Saint Prélat qui lui donna à son tour la discipline jusqu'à ce que ce pauvre patient entonnât l'antienne qu'il n'avait pas voulu permettre qu'on chantât. Il la poursuivit à si haute voix que les religieux éveillés au bruit accoururent auprès de lui. Il les congédia du geste et le lendemain il eur montra ses épaules toutes meurtries. Le Prieur se démit quelques jours après de sa dignité.
- Et pourquoi ? demanda dom Gérard, son supérieur.
- Parce que vos religieux de La Croix m'ont maltraité de coups.
La crainte d'une pareille flagellation fit que dom Gérard, prieur de La Charité, ordonna à l'instant que dans toutes les maisons dépendantes de lui on chantât l'office propre du Saint Évêque de Myre. Voilà le fait arrivé vers 1080, tel que dom Mabillon l'a extrait d'un manuscrit du même siècle qu'il dit n'avoir jamais été imprimé.

Je ne sais si ce grand personnage était bien persuadé de cet événement. Il parait n'avoir été embarrassé que de trouver dans la Brie un prieuré de La Croix soumis à La Charité, et quoi qu'il n'en ait pas trouvé, il ne critique pas le fond de l'histoire. Pour moi je crois que c'est un fait controuvé et que s'il y eut une flagellation réelle, elle vint d'autre part que de la main bénévole de Saint-Nicolas.

Durand, Évêque de Mende, à la fin du XIIIe siècle, avait lu en quelque endroit cette histoire ou on la lui avait racontée. Il ne dit pas que le monastère de Sainte-Croix fut en Brie. Il est aussi d'accord avec le sacristain pour ce qui est du commencement du différend des moines avec leur prieur; mais il ne quitte pas le Prieur à si bon marché. Il dit que le Saint le tira hors du lit par les cheveux, le cogna sur le pavé du dortoir, et que commença alors l'antienne O Pastor aeterne et la chanta fort lentement, lui donna un coup de verge à chaque note. Le couvent accourut aux cris du bon Prieur et on le porta à moitié mort sur son lit. Revenu à lui même, il dit :
- Allez, j'en ai assez. Chantez votre nouvel office de Saint-Nicolas !
Il avait donc reçu 113 coups de fouet, puisque c'est le nombre de notes contenues dans l'antienne du diocèse d'Auxerre dont faisait partie la Charité au XIIIe siècle. C'est à deux ou trois notes près le même nombre dans les Antiphoniers de Paris du temps de Saint-Louis.

Mais deux siècles auparavant, le sacristain avait dit que ce fut l'antienne O Cristi Pietas qui fut chantée pour Saint-Nicolas. L'une et l'autre antienne sont chantées aux vêpres du propre de ce Saint et si le sacristain avait raison, le bon Prieur aurait reçu 135 coups de fouet au lieu de 113 qui lui fit donner l'Évêque Durand.

Chacun raconte les anciennes histoires à sa mode. Du temps de Durand, les moines portaient déjà les cheveux longs, aussi fait-il le prieur de Sainte-Croix par les cheveux. Cet anachronisme historique suffit pour rejeter le récit fait par le même Durand et se rapporter simplement à celui du sacristain Mabillon. On ne trouve en Brie qu'un village du nom de La Croix, mais sans prieuré dépendant de La Charité. Le Pouillé imprimé à Bourges en 1709, marque bien un prieuré de Sainte-Croix, soumis au monastère de la ville de La Charité, mais il le dit situé à Venise, ce qui nous rapproche peut-être un peu du lieu où l'histoire (vraie ou fausse) est arrivée.  Car Pierre de Natalibus, Évêque sur les côtes d'Italie, marque dans sa vie de Saint-Nicolas, que c'était à Saint-Croix de Cezène que le Prieur avait fait refuser d'admettre le nouvel office de Saint-Nicolas.

Alfred POURCEL (publié dans la revue La Tradition - 1889)

5 commentaires:

  1. On ne décide pas des rites à sa guise même quand on est Maitre Prieur.
    Que le Dit Maitre Prieur citoyen reçoive la même sanction .
    Ça lui fera respecter les moinillons.
    Mais les chroniques sont vides d'un telle punition miraculeuse. Le ciel est sourd aux plaintes des Moines marionnettes , placides et soumis au delà de toute mesure.

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    1. Il n'y a aucune raison pour que les faits soient vrais pour être crus.

      L'idée, voilà l'important.

      Et il se trouvera toujours quelques couillons pour affirmer y croire

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    2. Parfois, il est même bon que les faits soient faux pour être crus...
      Sinon, comment vendre le concept de "média citoyen" ?

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  2. Chez moi.
    Sur une petite butte à l'Ouest , on trouve une vieille chapelle dédiée à Saint Nicolas.( chevet restant d'une nef du XIè siècle)
    Une procession s'y déroulait le 25 avril qui se confondit au fil du temps avec les rogations.
    Les filles à marier gravissaient 7 fois le talus en récitant:" Mon bon Saint Nicolas, toi qui marie les filles avec les gars, surtout ne m'oublie pas".
    .
    Ma petite ville conserve aussi le souvenir de deux miracles liés cette fois ci au Vieux Pont


    « Il existe deux versions de l'histoire du miracle.

    La première situe l'événement au moyen âge : de fortes pluies avaient provoqué la crue de la Gartempe et l'eau charriait des branches et du foin qui se sont amoncelés au pied du pont, faisant monter le niveau de l'eau, au risque d'inonder la ville et de renverser le pont.

    Une procession religieuse s'est alors formée, emmenée par la statue de la Vierge à l'enfant. Sur le vieux-pont, les prières du clergé et des habitants ont été entendues : les débris se sont dispersés et la ville n'a pas été inondée.

    Une seconde version rapportée au XVIIIème siècle est similaire, à ceci près qu'elle date le miracle à l'hiver de la Révolution et que ce sont des blocs de glace qui s'accumulaient (1). »
    Ce miracle est resté très présent dans la culture de la ville.

    « Le souvenir de ce miracle s'est perpétué jusque dans les années cinquante-soixante avec des processions à la Pentecôte. Un vitrail, dans l'église Notre-Dame, montre cet épisode avec le pont, la statue et la population. »

    (1) Un récit détaillé du Miracle du 14 janvier 1789 est visible dans l'église Notre-Dame.
    .
    Depuis les années 80 , le 14 janvier ( jour de mon anniversaire) reste une date consacrée et de pieuses pénitentes vont en procession faire autant des tours du Bâtiment A de la cité Saint Nicolas, construit à quelques mètres de la chapelle.Autant de tours que de péchés .
    Comme dirait Lagardette : les nouvelles spiritualités!

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    1. L'authentique est toujours plus savoureux ! C'est ce que n'a pas compris le Melon de la Loire...
      Certaines de tes pénitentes doivent tourner toute l'année !!

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