Breizh-info.com : Vous publiez un nouvel ouvrage intitulé « Contre le Libéralisme – la société n’est pas un marché ». Pourquoi est-ce important de préciser dès l’introduction que c’est à une critique de l’idéologie libérale que vous vous livrez, et pas à un plaidoyer pour la bureaucratie ou à attaque contre la liberté d’entreprendre, de circuler, d’agir, de penser, au libre arbitre ?
Alain de Benoist : 
 Ceux qui me connaissent auront du mal, je crois, à m’imaginer en 
adversaire du libre arbitre ou en défenseur de la bureaucratie ! Si j’ai
 pris la peine d’expliquer, dès le début de mon livre, qu’il faut 
d’abord s’attaquer aux fondements théoriques de l’idéologie libérale, 
c’est d’abord parce que celle-ci ne peut être attribuée à un seul 
auteur. Le « marxisme » est tout entier sorti de la pensée de Marx, mais
 le libéralisme a de multiples « pères fondateurs », ce qui fait qu’il 
s’est présenté, depuis deux siècles, sous des aspects parfois très 
différents. La distinction traditionnelle entre libéralisme politique, 
libéralisme économique et libéralisme philosophique a encore obscurci 
les choses au lieu de les éclairer.
 Je pense, 
comme John Milbank, que le libéralisme est d’abord une « erreur 
anthropologique », en clair que sa conception de l’homme est erronée. 
Or, c’est bien cette anthropologie que l’on retrouve à la base de toutes
 les formes de libéralisme : l’idée d’un homme qui n’est pas 
naturellement social et politique, mais qui cherche en permanence à 
maximiser son intérêt privé, le domaine économique étant celui dans 
lequel il est censé pouvoir le mieux jouir de sa liberté. L’homme 
libéral, c’est l’Homo œconomicus, un être autosuffisant, 
propriétaire de lui-même, indifférent par nature à toute notion de bien 
commun. C’est ce qui m’a amené à identifier les deux composantes 
fondamentales de l’anthropologie libérale : l’individualisme et 
l’économisme.
Breizh-info.com : Vous dites que
 le libéralisme est l’idéologie de la classe dominante. Défendre 
l’idéologie libérale serait donc assimilable à du conservatisme 
bourgeois selon vous ?
Alain de Benoist : 
 L’idéologie dominante est toujours celle de la classe dominante. 
Aujourd’hui, la classe dominante ne se réduit nullement aux bourgeois 
conservateurs. C’est une classe transnationale, parfaitement accordée au
 capitalisme déterritorialisé, qui se veut à la fois « efficiente » et 
« progressiste ». Elle œuvre à la transformation de la planète en un 
immense marché, mais adhère en même temps à l’idéologie des droits de 
l’homme et à l’idéologie du progrès. Cette classe s’est progressivement 
coupée du peuple, avec toutes les conséquences que l’on sait. La 
bourgeoisie qui se veut à la fois conservatrice et libérale s’accroche à
 une position intenable. Dans les faits, elle ne peut s’affirmer 
libérale qu’aux dépens de son conservatisme et ne peut s’affirmer 
conservatrice qu’aux dépens de son libéralisme.
 Je donne 
dans mon livre quelques exemples de cette inconséquence. Comment 
prétendre réguler l’immigration tout en adhérant au principe libéral de 
libre circulation des personnes, des capitaux et des marchandises ? 
Comment interdire l’usage des stupéfiants sans contrevenir à l’idée 
libérale que chacun doit être laissé entièrement libre de ce qu’il 
entend faire de lui-même ? Comment défendre les identités des peuples et
 des cultures si l’on ne voit en eux, comme les libéraux, que de simples
 agrégats d’atomes individuels ? Comment conserver des « valeurs 
traditionnelles » que l’illimitation du système capitaliste s’applique 
partout à supprimer ?
Le libéralisme, hostile à toute forme de souveraineté
Breizh-info.com : En quoi le 
libéralisme est-il incompatible avec la démocratie participative, alors 
qu’il se marie parfaitement avec la démocratie représentative ?
Alain de Benoist : 
 D’un point de vue libéral, l’avantage de la démocratie représentative 
est qu’elle substitue la souveraineté parlementaire à la souveraineté 
populaire : comme l’avait bien vu Rousseau, dans ce système le peuple 
n’est souverain que le jour du vote ; dès le lendemain, ce sont les 
représentants qu’il a élus qui ont le pouvoir de décider. Le problème, 
aujourd’hui, est que la démocratie représentative ne représente plus 
rien. D’où la défiance généralisée envers un système oligarchique 
complètement coupé des aspirations populaires.
 Mais il ne 
faut pas s’y tromper : le libéralisme, dans la mesure même où il prône 
la soumission du politique aux forces impersonnelles du marché, est en 
fait hostile à toute forme de souveraineté. Plus exactement, la seule 
souveraineté qu’il reconnaisse est celle de l’individu. Les nations et 
les peuples n’ont pas d’existence en tant que tels. Comme l’écrit le 
très libéral Bertrand Lemennicier, la nation n’est qu’un « concept sans 
contrepartie dans la réalité ». Toute identité collective relève donc du
 fantasme. L’individualisme méthodologique, hostile à toute forme de 
holisme, est alors le seul moyen d’analyser une société dont Margaret 
Thatcher disait sans rire qu’elle « n’existe pas ».
 Dans la 
mesure où la démocratie participative permet de redonner le pouvoir au 
peuple, s’apparentant par là à la liberté des Anciens qui, par 
opposition à celle des Modernes, consistait à donner aux citoyens la 
possibilité de participer activement à la vie publique (et non de s’en 
désintéresser pour se réfugier dans le privé), elle ne peut que se 
heurter à l’opposition des libéraux.
Breizh-info.com : Pour faire 
écho à l’actualité, diriez vous qu’aujourd’hui, Emmanuel Macron est le 
parfaite figure de l’idéologie libérale ? Pour quelles raisons ? 
Alain de Benoist : Disons
 qu’il en est l’une des figures emblématiques. On sait que ce sont les 
milieux financiers qui ont permis à Macron d’arriver au pouvoir et 
qu’une fois élu, celui-ci s’est empressé de former un gouvernement dont 
la principale caractéristique est d’associer des libéraux de droite et 
des libéraux de gauche. Cela a au moins permis de constater que, comme 
l’a dit et répété Jean-Claude Michéa, libéralisme économique « de 
droite » et libéralisme sociétal « de gauche » ne sont finalement que 
deux formes dérivées de la même idéologie – et qu’ils se complètent 
parfaitement. Mais cela a aussi permis de comprendre que le clivage 
droite-gauche est en train de disparaître pour être remplacé par un 
autre, certainement plus fondamental : libéraux et antilibéraux. Durant 
tout le XIXe siècle, jusqu’à l’apparition du socialisme, les conservateurs ont été les principaux adversaires des libéraux. On va y revenir.
Breizh-info.com : Quels 
antidotes, quelles alternatives existent ou restent à inventer pour que 
nos sociétés triomphent de ce libéralisme ?
Alain de Benoist : 
 Il n’y a évidemment pas de recette miracle. Il y a en revanche une 
situation générale qui évolue de plus en plus vite, et qui fait 
désormais bien apparaître les limites du système actuel, qu’il s’agit du
 système politique de la démocratie libérale ou du système économique 
d’une Forme-Capital confrontée à l’immense menace d’une dévalorisation 
générale de la valeur. L’avenir est au local, aux circuits courts, à la 
renaissance des communautés humaines, à la démocratie directe, à 
l’abandon des valeurs exclusivement marchandes. L’antidote aura été 
trouvé quand les citoyens auront découvert qu’ils ne sont pas seulement 
des consommateurs, et que la vie peut être plus belle dès lors qu’on 
répudie un monde où rien n’a plus de valeur, mais où tout a un prix.
Propos recueillis par Yann Vallerie
Via Breizh-info.com 

Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire
D'avance, merci de votre participation !