vendredi 1 mars 2019

Adolf Hitler - La collection privée de peintures du Führer

Adolf Hitler avait-il en matière d'art aussi mauvais goût qu'on peut souvent le lire  ? Ou, au contraire, avait-il l'oeil d'un artiste, comme on peut le lit plus rarement ? Petit bourgeois inculte ou esthète méconnu ?
Un album conservé à la Bibliothèque du Congrès  (Washington) permet de nuancer ces opinions tranchées. Titré "Katalog der Privat-Gallerie Adolf Hitler's", il comprend 72 reproductions de peintures et 2 tapisseries. On y trouve de nombreux paysages alpestres, des scènes de genre, des portraits de famille ou de proches collaborateur (Geili Raubal - la nièce d'Hitler qui s'est suicidée en 1931; Klara Hitler - sa mère; Alois Hitler - son père; Hans Streck - son chauffeur qu'il connaissait depuis le putsch de Ludendorff en 1923), mais aussi quelques nus (dont plusieurs versions de Vénus et Cupidon), des ruines italiennes,  un Canaletto ou un Cranach (aujourd'hui exposé à la National Gallery) !

Le Cranach de la collection privée d'Adolf Hitler

Les pièces du dossier pour vous faire votre opinion !


Quand Adolf Hitler n'organisait pas des expositions d'art dégénéré ou des grandes expositions d'art germanique, il collectionnait à titre privé. Dès la fin des années 30, il a commencé à acheter des tableaux à son goût.
 
Hitler et Goebbels à l'exposition Entartete Kunst (1937)

Hitler et Goebbels à l'exposition d'art allemand (1939)
L'album de la Bibliothèque du Congrès semble avoir été constitué en 1936, avant que les nazis ne soient véritablement en mesure de spolier les oeuvres (les albums de l'ERR ne sont donc pas représentatifs de ce point de vue). D'où l'intérêt majeur de cet album. Il s'agit véritablement de la collection privée du Führer et non d'oeuvres susceptibles d'intégrer le musée qu'il projetait de faire construire à Linz.



Le Führer collectionneur d'art

La collection privée de peintures d'Hitler n'était pas aussi mauvaise que la réputation qu'on lui fait généralement. L'architecte, inspecteur général de la construction et ministre de l'armement d'Hitler, Albert Speer, a donné sa version après la guerre, dans laquelle il a tenté de se démarquer de son commissaire et de son bienfaiteur. Speer rend compte de son étonnement devant la préférence de Hitler pour la peinture de genre. Les manipulations de Speer façonnent l'image du goût artistique du dictateur, que Joachim Fest a canonisée dans sa biographie de Hitler en 1969:
« De manière significative, il aimait toutes sortes de peintures de genre sentimentales à la manière des moines avinés ou du gros majordome d’Edouard Grützner. Très jeune, il l’avait raconté à son entourage, son rêve de réussite dans la vie était de se payer un vrai Grützner.
Dans son appartement munichois de la Prinzregentenplatz, il a ensuite exposé de nombreuses œuvres de ce peintre, ainsi que la douce Kleinleute Idylle de Spitzweg, un portrait de Bismarck par Lenbach, une scène de parc d’Anselm Feuerbach et l'une des nombreuses versions du "Péché"  par Franz v. Stuck. »

Le goût artistique petit-bourgeois du dictateur pour la  peinture de genre munichoise fait depuis lors l’objet de nombreuses publications.

Les visiteurs de l'appartement d'Hitler à Munich (comme plus tard à l'Obersalzberg et dans les résidences de Berlin et de Munich) rencontraient moins les peintures de genre dans les salles principales et de réception, mais les œuvres de l'un des peintres les plus importants de la seconde moitié du XIXe siècle, Arnold Böcklin. La première acquisition de Hitler aurait été une esquisse de Böcklin. Dans la salle à manger, une œuvre particulièrement spectaculaire du peintre a attiré l’attention: le combat des Centaures. C'était la deuxième des trois versions de ce thème pictural; le peintre l'avait exécutée en 1878. Fritz von Ostini a qualifié cette peinture de "la meilleure scène de combat des trois". Elle a disparu, mais un album photo contenant 74 photographies d'œuvres de la collection privée de Hitler contient une photo. (c'est inexact, le combat des centaures n'y figure pas)

Böcklin n'a pas obéi à un goût artistique petit-bourgeois comme celui que l’on prête à Hitler. Ses thèmes picturaux sont loin d'être anodins: Böcklin avait abordé le sujet de la lutte des centaures en relation avec la guerre franco-prussienne de 1870-1871. Cela est évident pour les membres de deux peuples, car certains sont blonds et à la peau claire, l’autre aux cheveux noirs et foncés, les Centaures "germaniques" et "romans". Leur lutte brutale, probablement mortelle, mise en scène de manière extrêmement pathétique contre des nuages ​​gonflants, n’est rien de plus qu’un assassinat insensé. Il est peu probable que Hitler ait lu la critique ironique de Böcklin sur la guerre. Dans la peinture, il a sûrement vu un symbole de la lutte naturelle et éternelle des peuples, qui constituait la base de sa vision du monde et de sa philosophie de l'histoire

Hitler a commencé à collectionner des peintures après son élection au NSDAP à la fin des années 1920 et la montée en puissance du parti au sein de la bourgeoisie. La raison particulière était qu'il avait, depuis 1929, un appartement de fonction de plus de 300 mètres carrés sur la Prinzregentenplatz de Munich, appartement qu’il a décoré avec des tableaux. Dès cette époque, Hitler était financièrement capable de le faire, car avec les succès politiques du NSDAP, ses mémoires, Mein Kampf, devinrent un best-seller et il devint au fil du temps millionnaire. Il consacra une part non négligeable de sa fortune à la peinture.

Dans le cercle d'amis et de connaissances de Hitler, l'art et la collection d'art étaient un thème central. Hitler côtoyait des amateurs d'art de la grande bourgeoisie, y compris des individus qui avaient fait leur fortune et leur réputation grâce à l'industrie de la reproduction naissante et en pleine expansion. Par exemple, Ernst Hanfstaengl, descendant de l'éditeur d'art de Hanfstaengl, qui s'était fait connaître par des tirages d'art de grande qualité. Le couple d'éditeurs Bruckmann appartenait au même milieu. La maison d'édition Bruckmann avait été fondée en 1858 en tant que "maison d'édition pour l'art et la science" et s'était rapidement fait connaître par des publications sur l'art et l'histoire de la culture allemande. Les livres produits dans l'imprimerie ultramoderne de la société se caractérisent par une qualité d'impression et une qualité de reproduction sans précédent.
(D'après Birgit Schwartz - Auf Befehl des Führers, Hitler und der NS-Kunstraub)

Il manque quelques pièces importantes dans l'album de la Bibliothèque du Congrès. Probablement que Hitler les a achetées plus tard. Par exemple :


Adolf Ziegler - Les Quatre éléments.
Hitler faisait grand cas des oeuvres de Ziegler, que les mauvaises langues surnommaient Le maître du poil pubien.

Arnold Böklin - L'île des morts (Todeninsel) - 1883

(Extrait de Peter Longerich - Hitler)
Hitler nourrissait l'espoir que le nouvel art national-socialiste puisse un jour s'inscrire dans la lignée esthétique du XIXe siècle et des artistes qu'il appréciait personnellement ; lui-même se considérant comme un expert en la matière. Une études des préférences du Führer dans le domaine révèle assez clairement les éléments biographiques et les prémisses politiques de sa conception de l'art. Outre le peintre romantique Caspar David Friedrich, ses artistes préférés étaient les "Romains allemands" Arnold Böcklin et Anselm Feuerbach, suivis de plusieurs disciples du romantisme tardif et de maîtres de la peinture de genre : il vouait une vénération toute particulière à Moritz von Schwind (dont il avait dû voir les oeuvres à Linz et à Vienne). L'idéal romantique et provincial distillé dans l'oeuvre d'Eduard von Grützner ou les scènes paysannes de Franz Defregger, trois artistes qui avaient séjourné à Munich. Il avait également été conquis par les paysages de Carl Rottmann et de Rudolf von Alt, dont les vues de Vienne lui avaient autrefois servi de modèles pour ses propres aquarelles. Il aimait aussi les célèbres portraitistes munichois, Friedrich August von Kaulbach, Franz von Lenbach, Hans Makart - dont le travail influença toute l'époque du "temps des Habsbourg" (1857-1914) - ainsi que Adolph von Menzel, notamment en raison de ses représentation historiques de Frédéric II, souverain qu'admirait le dictateur.



Il n'est pas difficile à travers cette sélection de retrouver les goûts et artistes dominants de Vienne, mais surtout de Munich, au tournant du siècle. À Munich, le Schackgalerie, que Hitler connaissait bien et à laquelle ses projets de musées réservaient une place importante, abritait des oeuvres de Böcklin, Feuerbach, Lenbach, Rottmann, Schwind et Spitzweg. Outre ces influences viennoises et munichoises, Hitler semble avoir été marqué par la grande "Exposition du siècle de l'art allemand" qui s'était tenue en 1906 à la Nationalgalerie. Cette présentation de la peinture allemande de la première moitié du XIXe siècle permit à un large public de redécouvrir un chapitre essentiel de l'évolution artistique allemande et avait reçu une large publicité dans les revues d'art que lisait Hitler. Trait caractéristique des artistes préférés du Führer, tous avaient travaillé avant ou pendant l'émergence des courants modernes et n'étaient pas issus de l'Académie des beaux-arts que le dictateur honnissait (ce qui était toutefois faux pour plusieurs d'entre eux). En réalité, ses affinités trahissaient plutôt un goût pour les génies déjà connus de longue date et qui avaient, soit imposés leur style, soit atteint la célébrité après leur mort. Le parallèle entre ces génies et le Führer lui même était évident : contraint par des circonstances adverses à renoncer à une carrière d'artistes, il avait su rediriger sa créativité et son intuition "artistiques" pour les exprimer dans le domaine politique.



La collection que s'était constituée Hitler dans ses diverses demeures et bureaux trahissait un penchant marqué pour l'art représentatif et symbolique. Les tableaux de sa maison munchoise reflétaient parfaitement ses goûts personnels. Pour le visiteur qui les découvrait, c'était comme entrer dans la collection privée d'un grand bourgeois munichois, amateur éclairé des courants de la fin du XIXe siècle. En place d'honneur figurait notamment le Combat de centaures de Böcklin - représentation primaire et barbare mettant aux prises deux hommes blonds et trois hommes-chevaux noirs. Il y avait aussi un portrait de Bismarck en uniforme de cuirassier, peint par Franz von Lenbach ; un Brueghel ; une scènes paysanne de Defregger, deux Grützner, une Ronde de Printemps de Böcklin ; plusieurs Spitzweg ainsi qu'un portrait de Geli signé Ziegler.



Sur les murs du grand salon du Berghof, le face à face des plus grands artistes du XIXE siècle et de leurs prédécesseurs chez les vieux maîtres italiens, révélait aux visiteurs toute la culture du maître des lieux en matière d'histoire de l'art. On y voyait un portrait de femme - Nanna - exécuté par Feuerbach, et dont le ressemblance avec Geli ne comptait pas pour rien dans sa sélection par le Führer ; les Arts au service de la religion de Moritz von Schwind ; une Vénus de Pâris Bordone, élève du Titien, et une Femme à la pomme du même peintre (qui remplaça la Nanna en 1938) ; plusieurs toiles de Giovanni Paolo Panini, un des plus grands peintres de ruines italien du XVIIIe siècle chez qui Hitler apppréciait tout particulièrement la capacité à rendre la "valeur d'un vestige" ; ainsi qu'une madone du XVIe siècle. Deux portraits des parents de Hitler complétaient l'ensemble. Dans son cabinet de travail du Berghof trônait un portrait du général Helmut von Moltke réalisé par Lenbach, tandis que deux portraits de Bismarck ornaient les couloirs de la demeure.



Les Führerbau de Munich abritait essentiellement des oeuvres prêtées par la Schackgalerie et la Collection de l'État de Bavière. Le triptyque d'Adolphe Ziegler - Les Quatre éléments, tentative de représentation du monde selon la vision national-socialiste (?) - était l'un des rares tableaux contemporains issu de la collection personnelle de Hitler à être ainsi exposé au siège du parti. Le décor du cabinet de travail du Führer constituait un programme historico-politique à lui seul : de nouveau un portrait de Bismarck par Lenbach, une représentation de Frédéric II par Menzel, le Retour des partisans tyroliens en 1809 par Defregger évoquant la révolte du Tyrol, et un Spitzberg.



A la chancellerie, Hitler veillait à toujours travailler sous le regard de grands personnages historiques. Dans son cabinet se trouvait un portrait en pied de l'ancien maître des lieux, Otto von Bismarck ; dans le salon, Hitler a accroché un portrait de Frédéric II qu'il emportera dans tous ses quartiers généraux successifs jusqu'en 1945. En 1935, Hitler fit l'acquisition pour son cabinet de travail d'un portrait des empereurs Guillaume Ier et Frédéric III par Lenbach. Les salons de la chancellerie étaient agrémentés de trois oeuvres qui ne visaient pas seulement à attirer l'attention des visiteurs. La salle à manger était dominée par le Triomphe de la musique de Friedrich August von Kaulbach, une pièce issue de la collection privée du Führer. La grande salle de réception aménagée en 1935 était ornée du Banquet de Platon, une toile monumentale de 3 mètres sur 6 prêtée par la Kunstgalerie de Karlsruhe. En 1936, Hitler acquit la sinistre Iles des morts de Böcklin et l'accrocha au-dessus de la cheminée de la salle de réception.
Peter Longerich - Hitler



TOUTES LES PLANCHES DE L'ALBUM



Alois Hitler

Clara Hitler

Geili Raubal, la nièce d'Hitler











Vénus et Cupidon










































Hans Streck, le chauffeur d'Hitler

Cranach l'Ancien - Vénus et Cupidon


















Petite bibliographie aléatoire :
La fortune méconnue d’Adolf Hitler


 


 

5 commentaires:

  1. Peut-on penser à Michael Lonsdale?
    .
    "La scène où il déclare à son épouse que “Adolf Hitler n’a jamais été peintre en bâtiment ! C'est de la calomnie ! Hitler était un petit peintre paysagiste”
    .
    La citation vient des Inrock
    .
    Perso mon souvenir dit= "petit maitre paysagiste"

    RépondreSupprimer
  2. Achhh j'oubliais le film de la réplique
    ....
    Delphine Seyrig sur le palier de Jean Pierre Léaud....et qui entre dans son lit.....
    Rhhhaaaa!
    "Baisers Volés"

    RépondreSupprimer
  3. Geli (Angela) Raubal n'est pas la cousine d'Hitler mais sa nièce de 19 ans sa cadette, et accessoirement sa maîtresse.

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Merci. J'ai rectifié l'erreur dans la légende du tableau.

      Supprimer

D'avance, merci de votre participation !