Comme souvent, le texte de ce billet n'est pas de moi. Celui-ci est d'Abou Antoun. Il voulait donner un complément au billet Aucun signe de vie à Beyrouth.
Abou Antoun a vécu à Beyrouth dans les années 70, il en a rapporté ses souvenirs. Pour lui, Beyrouth c'est la vie. Il m'a envoyé son commentaire; je lui demandé l'autorisation d'en faire un billet. Don, contre-don, nous sommes quitte.
Abou Antoun a vécu à Beyrouth dans les années 70, il en a rapporté ses souvenirs. Pour lui, Beyrouth c'est la vie. Il m'a envoyé son commentaire; je lui demandé l'autorisation d'en faire un billet. Don, contre-don, nous sommes quitte.
J'ai choisi quelques photographies récentes. Ce ne sont pas des illustrations, mais une forme de dialogue. La ville n'est plus la même, mais il y subsiste des impressions, des bruits, des ambiances, des tranches de vie... Les mêmes ? D'autres ? Robert Lavigue - Octobre 2017
ABOU ANTOUN - UN TAXI POUR BEYROUTH
Dans le Beyrouth d’avant 1980, pour se
déplacer, pas de bus, pas de trams, pas de trolleys. Les transports en commun
sont privatisés, ce sont des taxis collectifs qui s’y collent. Pour une raison
que j’ignore, on les appelle les taxis-service.
Credit photo : Wajeb Wahab |
En fait, les taxis-service sont des taxis ordinaires, sauf qu'ils assurent une liaison plus ou moins régulière. A l’occasion, ils peuvent vous conduire où vous le désirez comme client
particulier pour un prix convenu à l’avance. Est-il bien nécessaire de préciser
qu’aucun taxi ne possède de compteur de quelque type que ce soit ? Tout se
négocie de gré à gré et malheur à l’imprudent qui voudrait commander une course
sans en fixer le prix à l’avance.
A cette époque, tous les taxis étaient de
vieilles Mercedes Benz des années 60 avec le levier de changement de vitesses
au volant. Un tel taxi pouvait charger cinq passagers bien tassés avec tous leurs bagages (deux à
l’avant, plus le chauffeur et trois à l’arrière).
Pour prendre un taxi-service, il faut se
rendre à un point de collecte (souvent dans le centre-ville, Place des Canons,
al bordj) ou à un autre endroit que quelqu'un vous aura indiqué. Il n’existe bien sûr
aucun plan du réseau, ni officieux, ni officiel et encore moins d'arrêts matérialisés. Vous pouvez aussi prendre un taxi-service à la volée.
Les chauffeurs, toutes vitres ouvertes hurlent leur destination aux
passants. A vous de savoir que si le gars braille Hazmieh et que vous voulez
aller à Furn-el-Chebback, c’est bon pour vous… ou non. Le taxico, c’est un truc
pour initiés. Il n'est pas fait pour les touristes.
Quand vous montez, vous annoncez votre
destination. Inutile de faire de longues phrases. Si le français est pratiqué
par beaucoup de citadins, la plupart des chauffeurs de taxi ne parlent que
l’arabe dialectal. En réponse, le chauffeur annonce le prix de la course qu’il
faudra convertir dans la monnaie locale (rouba = 1/4 de livre = 25 piastres, nous = ½ livre = 50
piastres). C'est à peine si le taxi s'arrête. Les passagers se
serrent pour vous faire une place. Vous payez en faisant passer la monnaie au
chauffeur via les autres passagers; le change revient par la même voie.
Credit photo : Een Ar |
Qui conduit ces taxicos ? Les chauffeurs sont surtout des personnes sans beaucoup d’instruction, issus de toutes les
communautés; des Maronites, des Arméniens, des Musulmans chiites ou sunnites.
Vous pouvez savoir à qui vous avez affaire grâce à la plaque de cuivre vissée sur
le tableau de bord et rédigée en arabe et en caractères latins. Le chauffeur
affiche aussi sa religion. Pour les chrétiens ce sera souvent une image pieuse (la
Madone), pour les musulmans un symbole islamique. Ne vous fiez pas au chapelet
qui pend au rétroviseur intérieur, il s’agit d’un passe temps que l’on retrouve
partout dans ce qui fut l’empire ottoman. Pendant ses périodes de désoeuvrement,
le chauffeur s’en empare et l’égraine (devant lui quand il est assis, dans son
dos quand il marche). S’il n’occupe pas ses mains avec le passe-temps, l’homme
fumera une cigarette (américaine). Très souvent, le chauffeur affiche des
photos de Madame et des enfants ou bien une carte postale, souvenir d’un
voyage.
Credit photo : Iyad Laykah |
L’ambiance à bord est musicale. La radio
gueule à fond une chanson de Fairouz ou de Sabbah. A la longue, on finit par
apprécier et même par aimer le genre. Des conversations s’engagent entre les
passagers ou avec le chauffeur. Si vous êtes étranger, vous êtes repéré
immédiatement, même après plusieurs années de résidence dans le pays. Les gens sont gentils,
curieux et bienveillants avec les Européens.
Le taxico se fond dans le trafic. Les
premières fois, vous avez quelques émotions fortes en prime. La circulation à Beyrouth, c'est une vraie cacophonie. Pour se signaler à d'éventuels clients, les taxicos qui ont des places de libres donnent des petits coups de klaxon répétés. Il y aussi les klaxons rageurs des chauffeurs pressés, et puis les cris, les engueulades, les injures.
Et ce n'est pas tout ! Le taxico passe aussi des messages. Il peut s'arrêter au milieu d'une ruelle, bloquer la circulation et appeler une matrone au 3ème étage d'un immeuble. Ya oem Antranik (Hello, mère d'Antranik). La dame apparaît au balcon et le chauffeur lui annonce que son mari aura une heure de retard pour le dîner. Pour faire bonne mesure, il demande des nouvelles des enfants pendant que les voitures bloquées klaxonnent furieusement... dans l'indifférence générale.
Si le chauffeur croise un collègue, ils vont s'arrêter côte à côte pour faire un brin de causette au milieu de l'éternel concert de klaxons. C'était aussi ça le Beyrouth des années 70.
Pendant le trajet, le conducteur fait parfois ses achats. Disséminés dans toute la ville, des marchands de quatre saisons ont installé leurs étals sur des charrette tirées par des ânes. Ils ont leur clientèle qui sait où et quand les trouver. Les chauffeurs de taxi sont parmi leurs clients les plus fidèles. Personne ne s'étonne quand le taxi s'arrête en double file pour acheter ses fruits et ses légumes; personne ne proteste quand les marchandages s'éternisent. Les passagers sont solidaires de leur chauffeur. Après tout, hébergés dans sa voiture, ne sont-ils pas ses hôtes et d'une certaine manière ses obligés ?
Credit photo : Helga Tawil Souri |
La circulation a ses codes qu'il vaut mieux connaître. Il y a quelques feux rouges et ils ne sont pas complètement ignorés. Le chauffeur marque un arrêt, mais s'il ne voit pas de circulation transverse, il passe. Et s'il ne passe pas, il se fait klaxonner par les automobilistes qui le suivent. Les voitures sont équipés de clignotants, mais ils ne sont pas utilisés... même quand ils fonctionnent. Les feux de stop peuvent également être déficients. Alors que faire ?
C'est assez simple. Le conducteur conduit, par tous temps, la fenêtre ouverte. Quand il veut signaler une manoeuvre, il laisse son bras pendre par la portière à l'adresse de ceux qui le suivent. Cela signifie, ou bien je vais tourner à droite, ou bien je vais tourner à gauche, ou bien je vais m'arrêter. Méfie-toi, le suiveur !
Credit photo : Helga Tawil Souri |
A chaque intersection, la règle est de tenter de forcer le passage. On accélère, on intimide, quitte au dernier moment, à mettre un bon coup de frein. C'est la règle.
A l'époque, dans les années 70, la notion de banlieue n'existait pas vraiment. La campagne frôle la ville. Pas très loin du centre-ville, des animaux domestiques errent; des moutons, des vaches qui renversent des poubelles à la recherche d'une délicatesse. Encore des entraves à la circulation, mais notre chauffeur n'en a cure et contourne les moutons, les vaches et les poubelles.
Nous voilà arrivés à destination. Hon, min faddlak ! (ici, s'il te plait). Si vous voulez faire plaisir au chauffeur, commencez par Ya maalem (Eh, maître). Mais il ne faut pas en faire trop non plus.
Ah, la rue à Beyrouth en ce temps là ! C'était quelque chose ! Les radios qui braillent, les klaxons en continu, les apostrophes, les invectives... Comme au Caire, à Damas ou à Istanbul; autre chose que la tristesse des rues des capitales européennes.
Habitué de la ligne Beit-Mery, Aïn Saadé, Mansourieh, Sin-el-Finn, j'ai pris le taxi-service des centaines de fois.. à chaque fois une nouvelle aventure.
Abou Antoun - Octobre 2017
Voyager en compagnie de Jésus ? (Credit photo : Julie Quetier) |
Crédit pour les photographies : Wajeb Wahab, Een Ar, Helga Tawil Souri, Iyad Laykah, Julie Quetier.
L'idée du taxi 'jésuite' est de robert lavigue. C'est amusant, mais pour qui connaît le Liban pas étonnant. Les Jésuites (Iézouayyé) sont populaires au Liban. Ils ont fait beaucoup pour l'éducation et la diffusion de la culture française, avec l'Université Saint-Joseph et ses filiales (École Supérieure d'Ingénieurs de Beyrouth). Après le triomphe du communisme en Chine en 1949, ils ont dû rapatrier le personnel de l'université Aurore, et la plupart se sont retrouvés à Beyrouth. Les chrétiens confient volontiers leur progéniture aux 'Jèzes' quand ils le peuvent, mais les musulmans aussi et particulièrement la bourgeoisie sunnite de B. (Moussaïtbé). Je rends hommage aux pères De Jerphanion, Ketterer, Hartmann et Welten.
RépondreSupprimerSur la première photo, choisie également par robert lavigue, vous pouvez voir en façade la 'triple ogive'. C'est un motif architectural extrêmement populaire au Liban. On dit que ce serait un emprunt à Venise.
RépondreSupprimerCes fenêtres trilobées pourraient avoir été influencées par un élément d'un édifice lyonnais qui lui se veut une origine arabe.
RépondreSupprimerMalgré les visions citoyennes de Mourey , Lyon a toujours été assez éloigné de la mer.
Revue du Lyonnais p 334
Ce document (http://www.meda-corpus.net/libros/pdf_manuel/liban_frn/atl_fr_2.pdf)décrit bien la 'maison aux trois arcs' traditionnelle, mais fait l'impasse sur les origines. Il existe un lien fort entre Lyon et Beyrouth de nature curieuse. La troisième république anti-cléricale a été obligée de composer avec les Jésuites pour étendre l'influence culturelle française au temps du mandat. C'est ainsi qu'a été constituée 'l'association lyonnaise' chargée des relations avec la Compagnie de Jésus. Par son intermédiaire, l'Université Claude Bernard a pu déléguer de nombreux enseignants à Beyrouth.
SupprimerIl faut lire la dernière ligne de la page 333.
SupprimerLa IIIè République ne faut anti cléricale que sur une très courte période au tournant du siècle.
.
Sur l'influence de la France au Proche Orient on peut lire avec profit cet article un peu besogneux mais riche d'enseignements
yep , les taxis et voitures en général jamais vu un bordel pareil peut être au Caire mais les flics égyptiens faisaient peur , alors que le flic beyrouthin toujours occupé a autre chose qu'a son boulot un vrai dilettante .Les taxis comme dis Abou Anton des Mercedes et des Peugeot , pendant des mois on a essayé de leur apprendre a ne pas s'approcher trop prés trop vite pfffff allez faire peur a un mec qui veux discuter négocier et considère qu'il a la journée balafamek tahen rien n'y faisait alors le fatalisme oriental nous a gagné on a baissé les bras , un dernier truc de mémoire
RépondreSupprimerabou antoun confirmera leurs routes étaient dangereuse on a eu un nombre d'accidents de circulation incroyable , a oui pour un libanais a l'époque le stop c'est si on veut
Asinus
>>alors que le flic beyrouthin toujours occupé a autre chose qu'a son boulot un vrai dilettante
SupprimerOui, le flic libanais était d'un naturel débonnaire. Le Liban c'est une grande famille, en général la 'discussion' commençait par la recherche d'un parent ou d'un ami commun après consultation des documents. Une fois cela trouvé on commençait à demander des nouvelles, à s'enquérir de la santé des anciens, etc...
Les accidents étaient nombreux. Pas trop graves en ville mais plus sérieux sur les routes (toutes de montagne). Faut dire qu'en France on comptabilisait 18000 morts par an, ce qui était pas mal non plus.
RépondreSupprimerPerso je n'ai pas vu de taxis Peugeot au Liban durant les années 70, enfin je n'en ai pas le souvenir, rien que des Mercédès. La Tunisie, par contre était le domaine réservé de Peugeot (Bijou) pour les taxis collectifs ou non.