Il faut se moquer de l'oiseau-censeur

 

 

En 1926, le cinéma était encore muet, mais les censeurs étaient déjà à l'affut. Comme son nom ne l'indique pas Photoplay était une revue de cinéma qui publiait aussi des nouvelles, a imprimé cet article dans son numéro de juillet 1926. 

 

 

Rollin Kirby - The censor bird (Photoplay, july 1926)

 

Voici l’Oiseau Censeur, skunkus oris, originaire des États-Unis. C’est une créature aux habitudes dévastatrices qui prospère au Kansas et en Pennsylvanie. En ce moment, il tente de faire son nid à Washington. L’Oiseau Censeur est un vautour destructeur qui ravage les terres qu’il habite. Ses mœurs sont des plus singulières : le son du rire ou de la gaieté le met dans une rage déraisonnable, et la mention du sexe le fait hurler à travers le pays. Bien qu’il soit myope, il parvient à percevoir des obscénités invisibles à l’œil humain ordinaire.

Il n’existe pas de jeunes Oiseaux Censeurs. L’Oiseau Censeur moyen a plus de cinquante ans et nourrit une jalousie fanatique envers la jeunesse sous toutes ses formes. Il se nourrit de baisers de vingt pieds, de baigneuses, de romances, de jeunes femmes modernes et de toute forme de beauté qui ne serait pas revêtue du jupon de flanelle de la pudibonderie. Son œil est curieusement conçu : il grossit les plaisirs innocents en les transformant en maux sinistres. Là où l’œil normal ne voit que beauté et romance, l’œil de l’Oiseau Censeur discerne saleté et perversité.

Les habitudes domestiques de cette créature méritent d’être étudiées. L’Oiseau Censeur est si occupé à fouiner dans les nids des autres qu’il trouve rarement le temps de pondre des œufs. Les œufs qu’on a pu trouver sont très rares et d’une couleur bleu maladif. À l’instar du coucou, il laisse d’autres oiseaux faire son travail. Ses œufs sont généralement couvés par des oiseaux politiciens, puis relâchés pour s’attaquer aux jeunes d’autres oiseaux. Naturellement, l’ennemi le plus acharné de l’Oiseau Censeur dans le royaume des oiseaux est la Cigogne. À la seule mention d’une Cigogne, les Oiseaux Censeurs du Kansas et de Pennsylvanie sont pris de convulsions suivies d’une forte fièvre.

L’Aigle de la Liberté est également son ennemi naturel. En dépit de sa ruse sinistre, l’Oiseau Censeur est un adversaire lâche en combat ouvert. La saison de chasse à l’Oiseau Censeur est toujours ouverte, et il est plus facile de le tuer par le ridicule que par les insultes. Le rire, bien qu’il le rende dangereusement furieux, lui est fatal à terme.

Ne laissez pas l’Oiseau Censeur s’implanter à Washington.

Tuez-le avant qu’il ne ravage le pays.

Source : Photoplay, july 1926