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| La Préfecture de Police réalisait de bien beaux portraits ! | 
Albert LIBERTAD - LE BÉTAIL ÉLECTORAL (L'anarchie, 26 octobre 1905)
Ici même, j’ai croqué à grands traits le bétail syndical, le bétail 
patriotique, le bétail des jaunes, le bétail des honnêtes, il faut 
aujourd’hui que je dépeigne le plus important des bétails, le plus fort 
par la bêtise, le bétail électoral.
Sur la peau d’âne du tambour nationaliste, sur la baudruche des 
tambourins républicains, aux cordes de la guitare sentimentalement 
humanitaire, aux cuivres de la trompette révolutionnaire, voilà que se 
bat, que se touche, que se donne le rappel du bétail ; c’est le ranz des
 électeurs qui retentit partout à travers l’espace.
Votez pour Tartempion, votez pour Machin, votez pour Truc. Des 
affiches multicolores vous rapprochent à tous les coins de rue afin de 
vous raconter la candeur, l’esprit, la loyauté d’un quelconque candidat.
En peu de lignes, un Gérault-Richard des boulevards extérieurs, un 
Rouvier de grands chemins, un Marchand du surin et de la pince (Allusion
 au général Jean-Baptiste Marchand) deviennent des parangons de vertu, 
d’honnêteté et de douceur.
Le bétail électoral commente la force de la houlette d’Untel, le coup
 de fouet de Tel autre, le doigté crapuleux de Chose et le coup de 
gueule tonitruant de Machin. Le bétail pèse aussi la valeur des 
promesses faites ; non pas qu’il ignore que jamais elles ne sont tenues,
 mais pour se donner un peu d’illusion.
La lune, le bonheur, la diminution des impôts, la liberté, autant de 
chimères auxquelles il ne croit plus mais auxquelles pourtant il lui 
paraît bon de sembler croire encore. Il court aux rendez-vous que lui 
donnent les apprentis bergers après avoir fait un choix au zanzibar du 
troquet. Chez les nationalos ou chez les socialos ? Les dés répondent.
Il garnit la salle et il écoute religieusement l’orateur-candidat qui
 découpe des tranches de bonheur et débite des petits paquets de 
réformes. Il ouvre la gueule et les oreilles pour en prendre davantage.
« Les alouettes tomberont toutes rôties dans ta bouche ; ton taudis 
deviendra un palais ; tu auras des rentes à trente ans, dit le candidat.
 —Ah ! Ah ! Ah ! qu’il parle donc bien, cet homme ! Ce sont des 
mensonges qu’il nous raconte, mais que cela nous fait du bien de croire 
un moment que ce sont des vérités », dit le votard.
Quelquefois, il arrive qu’un autre candidat interrompe pour dire : 
« Ce n’est pas exact, les alouettes tomberont toutes bouillies dans ta 
bouche. » Et le bétail électoral suit, attentif, le débat passionnant : 
« Bouillies ou rôties ? Comment seront préparées ces alouettes qu’il ne 
mangera pas ? »
Alors que tous sont dans le rêve, une voix interrompt brutalement, 
sans précautions oratoires, les bonimenteurs : « Les alouettes ne 
tomberont ni rôties ni bouillies dans ta bouche, nigaud. Et si elles 
tombaient jamais toutes prêtes, ce serait de par ta bêtise, dans la 
gueule des candidats. » Alors, ce sont des cris, des vociférations : « À
 mort ! qu’on le tue ! qu’on le chasse ! La ferme ! Mouchard ! Agent de 
la réaction ! Jaune ! Rouge ! Jésuite ! Communard ! »
Celui qui veut jeter la vérité est entouré, bousculé ; les poings se 
lèvent sur sa tête, on lui crache au visage, on le jette dehors.
Et tranquille, le prometteur détaille le bonheur, offre le paradis et
 le bétail électoral reprend le fil du rêve qu’il fait tout éveillé, 
boit à nouveau le vin décevant de l’espérance.
Comme dans tous les troupeaux, il y a les meneurs, les gens du 
comité. Ce sont ceux à qui le candidat a promis autre chose que la 
viande creuse de l’espoir. Ils ont mission de « chauffer » la salle, de 
veiller à ce qu’aucun gêneur ne puisse entrer. Ils préparent le public, 
ils soûlent de vinasse quelques forts-à-bras qui feront de leur poitrine
 un rempart au bonimenteur.
À coté d’eux, il y a quelques sincères : ceux dont la bêtise atteint 
le dernier degré. Ils font l’appoint le meilleur, ce sont les moutons 
qui sautent par-dessus bord, montrant la voie à tout le troupeau.
Disons-le bien haut : que le bétail électoral soit tondu, mangé, 
accommodé à toutes les sauces, qu’est-ce que cela peut bien nous faire ?
 Rien.
Ce qui nous importe, c’est qu’entraînés par le poids du nombre nous 
roulons vers le précipice où nous mène l’inconscience du troupeau. Nous 
voyons le précipice, nous crions « Casse-cou ! » Si nous pouvions nous 
dégager de la masse qui nous entraîne, nous la laisserions rouler à 
l’abîme ; pour ma part même, le dirai-je ? je crois bien que je l’y 
pousserais. Mais nous ne le pouvons pas. Aussi devons-nous être partout à
 montrer le danger, à dévoiler le bonimenteur. Ramenons sur le terrain 
de la réalité le bétail électoral qui s’égare dans les sables mouvants 
du rêve.
Nous ne voulons pas voter, mais ceux qui votent choisissent un 
maître, lequel sera, que nous le voulions ou non, notre maître. Aussi 
devons-nous empêcher quiconque d’accomplir le geste essentiellement 
autoritaire du vote. Chez les nationalistes et les socialistes, chez les
 républicains et les royalistes, partout nous devons porter la parole 
anarchiste « Ni dieux ni maîtres ».
Et par la raison, et par la violence, il nous faut empêcher la course
 à l’abîme où nous entraînent la veulerie et la bêtise des votards. Que 
le bétail électoral soit mené à coups de lanières, cela nous importe 
peu, mais il construit des barrières dans lesquelles il se parque et 
veut nous parquer  ; il nomme des maîtres qui le dirigeront et veulent 
nous diriger.
Ces barrières sont les lois. Ces maîtres sont les législateurs. Il 
nous faut travailler à détruire les unes et les autres, dû-t-on, pour 
cela, disperser au loin le fumier où poussent les députés, le fumier 
électoral.
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
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