Le drame de la rue Chalgrin devant les Assises de la Seine (29 octobre 1929)
C'est demain mercredi que comparaîtra devant le jury de la Seine, les
débats étant présidés par le conseiller Warrain, Mme Jane Weiller, née Boyer, qui, le 14 décembre 1928, tua
à coups de revolver son troisième
mari, l'ingénieur Weiller. Le drame eut lieu au domicile conjugal, rue
Chalgrin. Ce fut après une nuit assez
agitée, de « boite en boite » une
nuit dont certains disent qu'elle fut
une nuit d'orgie.
Se souvient-on ? Ah oui « l'affaire du bal nègre de la rue Blomet» le « scandale de Montparnasse » !
Mais à Montparnasse, où ils
n'auraient fait que passer ce soir-là, les époux Weiller n'étaient nulle
part connus comme des habitués.
Quant au bal nègre voici ce qu'un
excellent écrivain antillais, NI. Brutus
Hermancet, en dit à propos de l'intrusion des blancs « Ils sont bien
gentil, mais leur présence apporte
une atténuation à la pureté de la
belle fête noire ! » Si l'on était assuré d'entendre tous
les témoins s'exprimer chacun avec
une si élégante décence, les instants
de huis clos qu'il a fallu prévoir
seraient tout à fait inutiles.
Est-ce pour donner raison à M.
Brutus Hermancet que les époux
Weiller invitèrent, rue Blomet, une
danseuse martiniquaise venir consommer avec eux dans un bar de
Montparnasse ? Ce qui est certain
c'est que Mme Jane Weiller n'a pas
invoqué la jalousie pour expliquer son crime. A l'aube de la fatale nuit, les époux regagnèrent seuls leur
appartement et, cet instant,
aucune querelle ne semble avoir
éclaté entre eux.
Au fait, peut-on admettre que s'il
y avait eu dispute, Mme Weiller,
déjà divorcée deux fois, n'ait pas eu
assez d'expérience pour savoir la
clore autrement qu'à coups de revolver ?
- J'ai eu peur!
Ainsi tente de se justifier celle qui, le drame accompli, téléphona elle-même pour alerter la police.
Mme Jane Weiller dit, et son
éminent défenseur Me de Moro-Gaffieri le répétera, que son mari était
dans un état pathologique qui faisait de lui, à de certaines heures, un
homme dangereux. Quelles discussions vont s'ouvrir là-dessus. Weiller était-il simplement déprimé, usé
par une vie de plaisirs excessifs? Tellement à bout de nerfs qu'on le
savait - et ceci se retournerait contre l'épouse meurtrière - incapable d'aucune défense ? Etait-il, aviateur
trépané, diminué par sa terrible blessure ? Allons donc ! a-t-on riposté, Weiller n'a seulement jamais
été au front.
Si l'on songe qu'à l'éloquence du
défenseur la famille du mort, partie
civile aux débats, opposera l'éloquence de Me Campinchi, on imagine aisément quelles passes d'armes devront suivre les pauvres jurés de la Seine pour achever de se
faire une opinion.
Tous les torts sont-ils du côté de
l'accusée ? Weiller était-il sans situation et sans ressources, ne comptant que sur les subsides des siens?
Qui eut le premier le goût de cette
existence irrégulière ? Autant de
questions douloureuses auxquelles il
ne sera pas toujours aisé de répondre clairement.
Le matin du 13 décembre les époux s'étaient adressé de violents reproches et ce serait pour fêter la réconciliation qu'on aurait décidé « la bombe » sur la rive gauche. Aucun témoin ne sera là pour dire ce que fut le retour à 4h du matin. Si l'on en croit Mme Jane Weiller, le mari se coucha vite, s'endormant dans un profond sommeil. Mais c'était pour se réveiller brusquement et se jeter hors du lit en proie à une de ces crises dont la jeune femme dira devoir tout redouter.
- Il voulait me tuer ! soutient-elle : il me tenait par les bras, il vociférait des menaces.
Soudain, l'ingénieur quitta la chambre. C'est alors que sa femme s'arma d'un revolver. Lorsque Weiller reparut « toujours menaçant, les mains en avant » selon l'accusée, Mme Weiller fit feu. Par deux fois. Une balle atteignit le poumon, une autre la gorge. Weiller s'était écroulé. Alors Mme Jane Weiller se pencha sur son mari et, d'une troisième balle logée à bout portant dans la tête, l'acheva.
- J'ai voulu, dit-elle, lui épargner une horrible agonie !
Encore qu'indirect, il y a tout de même un témoin du drame : la femme de chambre. Sa déposition sera terrible. Elle n'a pas entendu son maître menacer; en revanche, elle l'a entendu supplier :
- Didi !... Tu es folle !
- Un homme qui supplie ainsi, dira l'accusation, n'est pas trop redoutable.
Comme les puissances du mal qui s'emparent des misérables humains ne se contentent pas aisément, il fallait qu'il y eût, à côté de la chambre d'amour devenue la chambre de mort sanglante, une fillette de deux ans reposant dans son berceau !
Un adroit défenseur compose avec tout. Me de Moro-Giafferi montrera sa cliente tremblant pour son enfant en face du père titubant d'inconscience.
- Vous avez tiré trois fois ! répliquera implacable le ministère public.
Un mot pour finir et décourager les curiosités : devant indiscrète des blancs, les danseurs de « biguine » ont déserté la rue Blomet, errant de salle en salle pour dépister les dangereux indésirables.
André Salmon - Le drame de la rue Chalgrin devant les Assises de la Seine (Le Petit Parisien, 29 octobre 1929)
Tous les billets plus ou moins en rapport avec l'Affaire Weiller sont ICI
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire
D'avance, merci de votre participation !