Un petit billet nostalgique d'André Warnod, écrit au printemps 1930.
Le bal nègre est à la mode. Quand un
parent de province débarque chez vous à
l'improviste, avide de connaître les beautés et les curiosités de la capitale, ce n'est
plus ni à Notre-Dame, ni au Trocadéro, ni
au Louvre qu'il faut le conduire. Le Parisien perd ainsi la dernière chance qu'il
avait de visiter enfin ces monuments, mais
il en est ainsi. C'est au bal nègre qu'il
faut mener le nouveau venu.
Pendant longtemps, il n'y eut qu'un
seul bal nègre : celui de la rue Blomet.
Nous l'avons connu alors qu'il n'était fréquenté que par des noirs pur sang et
pour y être admis il fallait être accompagné d'un personnage de couleur. Les
modèles de Pascin nous avaient alors
servi de truchement.
La mode s'en mêla et il y a juste deux
ans Paul Morand, Carco, André Salmon,
Kisling, Zadkine André Gide, tout
Montparnasse, tout Paris, les échotiers,
les chroniqueurs s'y donnaient rendez-
vous. Pour être à la page il fallait danser la beguine au son de la clarinette et
de la boîte à clous.
Malgré l'envahissement des blancs dont
les intentions, surtout depuis l'affaire
Weiler, n'étaient pas très pures, malgré
les voitures alignées à la porte, le bal
de la rue Blomet est resté un vrai bal
Doudou. C'est miraculeux que la clientèle de la première heure soit restée fidèle, on y voit toujours des sous-officiers
de la coloniale, des petits employés, des
commis, des femmes de chambre, la cuisinière d'Hélène Perdriat et son madras,
des filles, des noirs de toutes les catégories, des noirs de la rue, de la vie courante.
C'est cette clientèle-là que n'ont pas su
attirer les autres bals nègres.
Car il y a d'autres bals nègres.
Mais ceux-là on les sent fabriqués de
toutes pièces à l'usage des touristes et des
voyeurs.
Il y en a un sur la Butte Montmartre,
rue du Ruisseau. Il y en a un quai de
Bercy qui se tient, dans une grande salle
dont l'entrée est décorée de pittoresques
et romantiques rochers. Les orchestres y
sont excellents et les noirs y dansent la
beguine. Mais ce n'est pas la même chose.
Le cœur n'y est pas. On attend le client,
on ne s'amuse pas entre soi. On ne reprend pas en choeur le refrain de Pomme
Cannelle ou de Monsieur Satan.
Alors, n'est-ce pas? cela n'a pas un
très grand intérêt et le touriste déçu se
dit : « Tout de même, ces Parisiens, ils
ont une drôle de façon de s'amuser ! »
André Warnod - La croisière noire. De la rue Blomet au Quai de Bercy (Comoedia, 10 avril 1930)
Source : Bibliothèque Nationale de France - Gallica
Tous les billets plus ou moins en rapport avec l'Affaire Weiller sont ICI
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