Georges de la Fouchardière était Poitevin et anticlérical, il pratiquait l'ironie mordante et portait la raie au milieu. Quatre raisons nécessaires et suffisantes pour tirer ce brave homme, le temps de ce billet, de l'oubli dans lequel il est tombé (note 1).
Une des rues chaudes du Mans avec des maisons, propriété de l'évêché. La taille et l'emplacement du N°1 laissent soupçonner bien des choses ! |
HORS D'OEUVRE - D'un bénéfice ecclésiastique.
(...) L'évêque du Mans est propriétaire d'immeubles, mais il n'est pas propriétaire comme tout le monde. Il est propriétaire malgré lui.
En 1914, dans le voisinage trop immédiat de la cathédrale du Mans, il y avait un pâté de maisons... de ces maisons qui sont une nécessité dans les villes de garnison... enfin, quoi, des maisons...
Le voisinage de ces établissements était fâcheux pour la cathédrale. Les fidèles qui se rendaient aux offices ne passaient pas sans malaise devant ces volets clos... D'autre part, le voisinage de la cathédrale était fâcheux pour ces établissements; car les fonctionnaires et les magistrats qui, le soir, y venaient chercher quelque délassement risquaient de rencontrer leurs épouses, se rendant au salut ou aux offices du mois de Marie.
L'évêque du Mans organisa une souscription qui fut fructueuse et dont le produit servit à racheter les immeubles condamnés par l'Église. Congé fut donné aux matrones, qui se préparèrent à évacuer, avec leurs pensionnats, les domaines ecclésiastiques; faute de quoi l'huissier de l'évêché eût expulsé ces congrégations non autorisées.
Or la guerre éclata. Il y eut le premier moratorium, que d'autres suivirent. De prolongation en prorogation, ces dames sont encore là... Et le malheureux évêque du Mans, depuis dix ans, continue à encaisser les loyers qui sont le prix du stupre, et il délivre aux mères supérieures des quittances revêtues du sceau épiscopal. Et on ne sait pas combien de temps durera cette étrange situation.
Soucieux des intérêts spirituels plus que des intérêts temporels, j'ai voulu savoir où en était l'évêque du Mans quant au salut de son âme, et j'ai consulté les Pères de l'Église.
Dans leur sagesse, les Pères de l'Église ont tout prévu, même le cas du propriétaire qui loue son immeuble à une tenancière de maison close.
Saint Raymond, pénitencier de Rome sous Grégoire X, assimile le cas à celui d'un homme qui, ayant une épée à vendre et sachant que l'acheteur veut s'en servir pour commettre un meurtre, conclut néanmoins le marché; ainsi le vendeur pèche mortellement... "De même un propriétaire, sachant que Lucine veut s'en servir pour son honteux commerce, ne peut sans crime lui donner sa maison à louage."
Saint Jérôme déclare que, même se trouvant dans l'indigence, un propriétaire doit laisser sa maison vacante, plutôt que de la louer à Lucine, car il est infiniment plus avantageux de perdre quelque bien temporel que de perdre à jamais les biens éternels.
Ainsi, pensez-vous, ce pauvre évêque du Mans se trouve condamné à l'unanimité, et avec cette circonstance aggravante qu'en l'espèce le propriétaire de la maison de débauche est un prince de l'Église.
Je cède la parole à un savant casuiste, docteur en Sorbonne (note 2) : "Sylvius met une exception à l'occasion de la présente difficulté qui est que, si le Prince ou les Magistrats permettoient aux femmes débauchées de se retirer dans un certain quartier de la ville et leur ordonnoient de se loger, comme le fit en effet Charles VI par son ordonnance du 14 septembre 1420 qui y désigna sept rues à ces malheureuses pour se loger: sçavoir la rue Chapon, les rue Pavée et celle de l'abreuvoir Macon, de Glatigny, de Tiron, de Baillehoë et de la Cour Gobert, à Paris, les propriétaires de ces maisons qui dans ce cas ne pourroient sans crime les leur louer, afin de pourvoir à leurs besoins par le prix des loyer, pourveu qu'ils détestassent sincèrement la mauvaise vie de ces femmes. Ainsi répond un sçavant commentateur à la question : "An etiam excusandi sint qui domos locant meretrecibus ?"
La cause est entendue.
Monseigneur est excusable du fait que le quartier où se trouvent ses maisons de rapport est en quelque sorte un quartier consacré au culte de Vénus par une décision du Prince, en l'espèce de la municipalité du Mans, et qu'il lui est impossible de louer ces immeubles à d'autres personnes.
Et puis la divine Providence n'a-t-elle pas bien fait les choses en mettant le remède à côté du mal et le tribunal de la pénitence à portée immédiate des justiciables ?
Les pécheurs repentant n'ont que la rue à traverser pour recevoir l'absolution.
Cependant qu'à l'encens du saint lieu se mêlent, par une émanation très proche et très évangélique, les parfums orthodoxes de Marie-Madeleine.
G. de la Fouchardière ( L'Oeuvre - 24 octobre 1924)
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Georges François Xavier Marie Grente, l'évêque du Mans, prit la mouche. Il s'estima diffamé et intenta un procès. C'est Maurice Garçon qui assura la défense Georges de La Fouchardière contre l'évêque. Le journaliste fut condamné. En ces temps, écrire : "Et le malheureux évêque du Mans, depuis dix ans, continue à encaisser les loyers qui sont le prix du stupre, et il délivre aux mères supérieures des quittances revêtues du sceau épiscopal." (note 3) dépassait les bornes de l'ironie mordante.
L'histoire ne dit pas si, bien des années plus tard, Mgr Grente et Me Garçon échangèrent ces vieux souvenirs sur les bancs ou lors d'une séance de dictionnaire de l'Académie Française...
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Note 1 : Aujourd'hui, il n'y a guère que quelques cinéphiles pour se souvenir que le scénario de La Chienne de Renoir et de La Rue rouge de Fritz Lang sont tirés de l'un de ses romans.
Note 2 : La citation est extraite du Dictionnaire des cas de conscience (1715) de Jean Pontas, à l'article louage. De La Fouchardière a poussé l'érudition mordante jusqu'à utiliser une édition du 18ème siècle. L'édition modernisée de Migne en 1847, plus accessible au commun des croyants et des mécréants, a pratiqué des coupes dans le texte.
Note 3 : Le Grand Pimp des Mabouls, lui aussi, encaisse les loyers et distribue des quittances. Est-ce pour cela que les margoulins citoyens jouent des ciseaux ?
Note 3 : Le Grand Pimp des Mabouls, lui aussi, encaisse les loyers et distribue des quittances. Est-ce pour cela que les margoulins citoyens jouent des ciseaux ?
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