samedi 4 janvier 2014

PHIL EVERLY EST MORT

Deuil chez les ménagères botoxées de plus de 70 ans d'après le dernier opus de Morice





Phil Everly décède : on peut toujours aller pleurer sous la pluie

Aie, l'année démarre mal avec cette disparition, celle d'une moitié de groupe, en quelque sorte. Phil Everly, le plus jeune des deux frangins, parti le premier à 74 ans. Franchement, je ne connais pas meilleur mélodiste, et ce, d'autant plus que je l'ai découvert tard. Champion des hit-parades US au moment où la France se convertissait à la vague variéteuse qui allait piller le répertoire US sans vergogne, j'avais zappé toute la période (*). Et c'est un double album, celui de leur reformation, à l'Albert Hall, en 1983, qui me les avait fait apprécier, ces fameux frères Everly, fort sur le tard, donc, et je m'en excuse pour eux. Un double album absolument épatant, que je vous demande de réécouter pour vous imprégner de la magie vocale des Everly Brothers. En fait, ils avaient créé naturellement ce qu'on recréera plus tard en studio avec un artifice technologique, le doublage de voix, qui a toujours garanti des enregistrements, même chez des gens qui n'étaient pas spécialement des "ténors (vocalement, Phil est un tenor et Don un baryton). Ils ne l'étaient pas spécialement non plus, mais avaient un sens inné de la mélodie, à l'évidence. Retour sur le duo qui aura marqué le vingtième siècle musical (avec Simon and Garfunkel, ne les oublions pas également)...
Il étaient nés avec la riche musique des Appalaches à leur chevet (c'est le pays du Dulcimer), à Brownie, petite ville de l'Ouest du Kentucky située dans le comté de Muhlenberg. Les deux frangins avaient débuté tôt, à vrai dire : à 10 et 12 ans, ils faisaient déjà leur émission de radio familiale, sur Radio Station KMA (ils avaient débuté à 6 et 8 ans !) ce qui avait attiré l'oreille de Chet Atkins (de chez RCA) qui les avait recommandés pour les enregistrer. Mais c'est à l'âge de 18 et 20 ans qu'ils décrochent la timballe avec un hit universel : "Bye Bye Love", qui termine deuxième au hit parade en 1957 aux states. Ici présenté avec humour comme étant les petits-fils de Pat Boone  ! On remarque très vite le son grave de leurs guitares aux corps impressionnant ; ce sont des Gibson J-200, au son ample comme on le sait. En fait, c'est leur père, Isaac Milford "Ike" Everly, qui les avait imprégné de sons de guitares de la sorte. L'homme était déjà un guitariste de "picking" extrémement réputé, l"ayant appris sur place d'un dénommé Mose Rager, qui lui-même influencera directement le style de Merle Travis, l'emblématique icône du picking, qui aux states aura eu une aura phénomènale, passant à la télévision pour jouer des bidules... injouables. Un artiste de la gratte avant l'heure !
Mais laissons un grand spécialiste (Chris Lancry, qui lui aussi a débuté à 12 ans) évoquer ces infuences historiques :"c’est surtout à partir de 1925 et 1926 avec les disques de Blind Lemon Jefferson et Blind Blake, que le style allait se développer et faire école. Tout le blues acoustique a été interprété de cette manière, ce style de picking à deux doigts s’est perpétué jusqu’à la guitare électrique, puisque les pionniers du Chicago blues comme Muddy Waters, Jimmie Reed, Jimmie Rodgers, J.B. Hutto, qui venaient tous des régions rurales du Mississippi, et donc de la guitare acoustique, ont conservé ce style de main droite (avec onglet de pouce et d’index) sur des guitares électriques. D’un autre côté, sous l’influence de T. Bone Walker puis de B.B. King, le blues traditionnel allait se « jazzifier », et le guitariste électrique devenu presque uniquement soliste allait peu à peu délaisser les onglets au profit du médiator. Ce sont les musiciens blancs, de musique « Old Time » puis de country qui allait ensuite développer ce style de picking. 

Sous l’influence d’Arnold Schultz, un musicien noir du Kentucky, Mose Rager puis Ike Everly, (le père des Everly Brothers) allaient servir de maîtres et de mentors au jeune Merle Travis qui allait lui-même influencer une myriade de guitaristes de par le monde, les plus connus étant sans doute Doc Watson et Lester Flatt." Ce lien les propulse directement dans le milieu de la Country, où ils font une apparition remarquée en 1957 au fameux "Grand Ole Opry" de Nashville, dans le Tennessee. On les relie alors aux groupes jouant sous le label d"Acuff-Rose, une maison de disques créée en 1942 par Roy Acuff et Fred Rose à Nashville toujours, la capitale de la Country. Une firme qui se fait vite la garante de l'esprit de la Country, au point à une époque, dans les années 70 de la bloquer (et d'où l'apparition du mouvement des Outlaws, avec Waylon Jennings et Willie Nelson, qui secouera un peu le cocotier musical).
Li'nfluence paternelle est donc très forte, sur leurs débuts musicaux et leur façon de jouer et de s'accompagner surtout. Plus tard, en fait cinq ans après leur début de carrière, Gibson, qui avait flairé avec eux la publicité gratuite, produira des guitares estampillées "Everly Brothers", qui auront un chevalet réglable, celui qu'affectionnaient les deux jeunes chanteurs, alors que les puristes affirmaient que cela nuisait à la qualité du son de la guitare. Extérieurement, leurs premières guitares comportaient de grandes plaques de protection, leur jeu abîmant énormément le corps de leurs guitares. Question harmonies, leurs débuts fulgurants bénéficient surtout chez leur firme de disques, Cadence Records dirigé par le découvreur de talents Archie Bleyer, (leur premier contact avec Chet Atkins n'a donné qu'un mauvais 45 t chez Columbia, "Keep On Loving Me") de la science de Boudleaux Bryant... qui chante et joue alors en duo avec sa femme, Felice (ils n'ont jamais arrêté de faire ainsi). Si ici leurs noms ne vous disent rien, sachez que ce sont eux qui ont écrit l'hymne de l'Etat, "Rocky Top Tennessee" !!! Le mystère des subtiles chrorus en canon ou en question-réponse s'explique aisément par le rôle vital joué par le couple Bryant dans la composition des premières chansons du duo de frangins. Flirtant avec le récitatif parfois et tout le background country des années 20, l'écriture riche du couple explique en effet beaucoup de choses sur l'incroyable bond en avant qu'apporte deux aussi jeunes artistes plein d'énergie. Un site situe bien l'importance des Bryant à Nashville : selon lui, ils auraient écrit 6000 titres différents ; dont 1000 ont été enregistrées et qui se sont vendues à plus de 200 000 millions d'exemplaires dans le monde ! Un peu farceurs, ils s'attaqueront à tout, ou presque : même au kazoo, comme ici sur cette farce musicale dénichée par hasard par un fan. Les chœurs, chez eux, préfigurent parfois des trucs beaucoup plus "jazzy" : ils tentaient tout ! Ils savaient aussi "rester dans les clous" de la musique country, comme ici avec les Browns. Pour ceux qui l'ignoreraient, ce sont eux aussi qui ont écrit... "Long Tall Sally", qu'un Little Richard déchaîné, en précurseur véritable de Freddie Mercury, propulsera sur orbite... le couple Bryant co-signera les plus gros hits des frères Everly : "Bye, Bye Love", "Wake Up Little Susie", mais aussi "All I Have to Do Is Dream," "Take A Message to Mary," et "Devoted to You." en 1957 et 1958 les deux frères effectuent des tournées avec Buddy Holly, autre songwriter au talent immense qui sera brisé en vol par une froide nuit d'hiver de février 1959. Phil ira porter son cercueil en terre Don, complètement anéanti par la disparition, ne désirant pas s'y rendre, brisé.

Les Everly Brothers en vendront eux des milliers, puis des centaines de milliers, et des millions également. Rien qu'en trois ans, ils assurent le fond de commerce de Cadence Records en approvisionnant la firme avec 15 millions de disques vendus, avant de passer chez WEA lors de la signature d'un contrat phénoménal pour l'époque ; 1 milliion de dollars, 500 000 chacun, avec la garantie de 7% de royalties pour chaque vente.... Et avec à la clé des ventes du même tonneau pour Warner : le premier "simple", Cathy's Clown, se vendra à 2,5 millions de copies en 1960 ! Le contrat avec la Warner, s'il a été juteux financièrement, va leur coûter cher en répertoire, ce qu'on retrouve caché dans certaines de leurs interprétations. Ainsi "Don't Blame Me", qui n'est pas d'eux car c'est à l'origine un hit datant de 1933 enregistré par Ethel Waters (ici dans "Stormy Weather", et sa sublissime interprétation !). Ce choix est dicté par une obligation : en signant avec WEA, Westly Rose, le gestionnaire du label, leur a refusé l'accès désormais au catalogue Acuff-Rose (et donc aussi à toutes les chansons de Boudleaux et Felice Bryant qui étaient déposés chez lui). Les frères Everly étaient alors coincés, car leurs premiers titres étaient encore eux aussi sous un contrat d'édition avec le label de Rose. D'où un choix qui paraît surprenant, mais qui va payer : la chanson montera au Top 20 à la fin de l'été 1961 ! Leur hit planétaire de l'année 1961 étant le superbe "Cryin' in The Rain" qui a donné son titre à cet hommage. Mais leur succès va progressivement baisser, avec l'arrivée de la pop anglaise (dont les Bee Gees qui leur rendront hommage, ou Rod Stewart ou même encore la chanteuse un peu scie Lulu) qui va gagner des parts de vente aux USA. Seule l'arrivée inopinée des Beach Boys saura la juguler. Ils grimpent quand même en 1967 au Hit-Parade avec un titre étonnant et mésestimé, "Bowling Green" : pour certains l'écriture du morceau influencera des gens comme Glen Campbell, avec "Gentle on My Mind" et sa country soft (ici en 1983, massacré par Claude François dans " Si Douce A Mon Souvenir" **), ce qui ne semble pas faux en effet. 1967, c'est l'année de la fin de leur contrat chez Warner, qui les reconduit pour trois ans de plus. Mais ça ne marche déjà plus entre les deux frangins, et un soir de concert à 1973, Buena Park, en Californie, Phil tombe dans une colère noire, en pleine scène, fracasse sa guitare à la Townshend et s'en va en coulisses, laissant Don finir le show seul. La rupture est consommée... elle durera 10 années.

Ils accepteront enfin d'enterrer leur hache de guerre en 1983 pour commettre ce double album parfait à l'Albert Hall, en Angleterre, "Reunion Concert", prodigieusement bien enregistré les 22 et 23 septembre, avec des pointures derrière eux dont Albert Lee, encore un grand inconnu chez beaucoup, hélas. Cet album rare est un vrai bonheur, d'harmonies de chants et de guitares (ils jouent sur des Steinneger). En background il n'y a pas de manchots en effet : on trouve aux claviers Pete Wingfield (ex Jellybread, groupe de blues anglais chez Blue Horizon et présent dans l'excellent BB King in London avec Jim Gordon, pas encore à l'asile - pour avoir tué sa mère-, on le retrouvera aussi derrière Van Morrison !) deux guitaristes Albert Lee et Martin Jenner, session man un peu partout, et comme batteur Graham Jarvis. Il est intéressant de comparer le DVD sorti à l'album, car y figurent des prises différentes sur les deux jours des mêmes morceaux. Don, par exemple ; effecfue un tout autre solo sur "Bye Bye Love" sur le DVD (ici une autre version encore). L'année suivante ils sortent "EB 84", produit par Jeff Lynne, grand admirateur des Beatles, et grimpent à nouveau au Top US avec "On the Wings of a Nightingale," chanson signée Paul McCartney. L'album est fort dans la ligne de ce qu'ils faisaient ... à leurs débuts ! Deux ans plus tard sort l'excellent, "Born Yesterday", produit par Dave Edmunds, puis sort le dernier album sous leur nom qui est aussi excellent, Some Hearts, en 1989, à la très belle introduction. En 1986, on les rencontre en très bonne compagnie avec Chet Atkins et Mark Knopfler en background  : la réunion rêvée des amoureux de guitare et de chant ?
Entre temps, il n'avaient pas déserté pour autant les studios, surtout Phil, qui était un boulimique de la chansons et de la compositions, ce qui nous révèle une liste sidérante de ses participations à la composition ou pour faire les chœurs sur des albums. Difficile en effet de trouver plus "crédité' sur les pochettes. Son retrait du groupe ne l'avait pas écarté des studios, bien au contraire. On découvrira ainsi qu'il est le compositeur de "Jigsaw" pour les Shadows ou de l'album "Heart Like a Wheel" de Linda Rondstadt, ou a participé au début de carrière de Warren Zevon, qui, lui-même deviendra un compositeur prolixe (et deviendra membre de leur groupe de tournées). L'excellent Zeavon, lui aussi pas encore assez connu, hélas ! Plus subtil est sa participation à "Willin"", un excellentissime album hélas méconnu de l'anglais Dave Kelly (reprise du titre de Little Feat, lui-même un "must" absolu), excellent disque de bout en bout, (il fera aussi "Survivors" du même auteur) ou plus surprenant sa participation à celui des Fabulous Poodles ("Think Pink")", post-punk tendance harmonique, qui reste pour beaucoup un excellent groupe, lui aussi bien trop méconnu du grand public. On le retrouve aussi sur des trucs plus enlevés, tel le groupe Nighthawks, et leur album "Hard Living" (ici sur scène en 2012), autre groupe fabuleux à réécouter, aux prestations scéniques toujours enthousiasmantes.
C'est donc, comme le disait le magazine Rolling Stone, un des membres du duo vocal le plus important qui vient de disparaître. Rendons lui donc hommage, pour avoir autant influencé la musique du XXeme siècle. En allant pleurer sa peine sous la pluie, par exemple. Pour le public plus jeune qui ne ferait pas le lien avec les Everly Brothers, sachez aussi que "Foreverly", sorti cet année, est un superbe hommage offert par Norah Jones et Billie Joe Armstrong le leader de Greenday, et que c'est un disque fort réussi. L'album reprenant intégralement chaque titre de celui des Everly Brothers appelé "Songs Our Daddy Taught Us" sorti en ... 1958 !!! La preuve flagrante de l'universalité dans le temps des frères Everly !!!
(*) je n'étais pas le seul, visiblement : "rappelez-vous, c’était en 1957 –trois ans après le fameux « That’s all right Mama » d’Elvis- les Everly enregistraient « Bye Bye Love » au Studio B de Nashville… Deux guitares, deux voix indissociables qui fredonnent les petits problèmes des adolescents des annés 50. Une entrée fracassante dans les cœurs brisés des teenagers, et le début d’une étonnante carrière injustement passée sous silence dans notre cher Hexagone tombé aux mains des yéyés…." écrit si justement un fan sur le net.
(**) rattrapé en beauté par Benny Hill avec "The Dustbins Of Your Mind" !!! (désolé je ne résiste pas).

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