Phil Everly décède : on peut toujours aller pleurer sous la pluie
Aie, l'année démarre mal avec cette disparition, celle d'une moitié de groupe, en quelque sorte. Phil Everly, le plus jeune des deux frangins, parti le premier à 74 ans. Franchement, je ne connais pas meilleur mélodiste, et ce, d'autant plus que je l'ai découvert tard. Champion des hit-parades US au moment où la France se convertissait à la vague variéteuse qui allait piller le répertoire US sans vergogne, j'avais zappé toute la période (*). Et c'est un double album, celui de leur reformation, à l'Albert Hall, en 1983, qui me les avait fait apprécier, ces fameux frères Everly, fort sur le tard, donc, et je m'en excuse pour eux. Un double album absolument épatant, que je vous demande de réécouter pour vous imprégner de la magie vocale des Everly Brothers. En fait, ils avaient créé naturellement ce qu'on recréera plus tard en studio avec un artifice technologique, le doublage de voix, qui a toujours garanti des enregistrements, même chez des gens qui n'étaient pas spécialement des "ténors (vocalement, Phil est un tenor et Don un baryton). Ils ne l'étaient pas spécialement non plus, mais avaient un sens inné de la mélodie, à l'évidence. Retour sur le duo qui aura marqué le vingtième siècle musical (avec Simon and Garfunkel, ne les oublions pas également)...
Les Everly Brothers en vendront eux des milliers, puis des centaines de milliers, et des millions également. Rien qu'en trois ans, ils assurent le fond de commerce de Cadence Records en approvisionnant la firme avec 15 millions de disques vendus, avant de passer chez WEA lors de la signature d'un contrat phénoménal pour l'époque ; 1 milliion de dollars, 500 000 chacun, avec la garantie de 7% de royalties pour chaque vente.... Et avec à la clé des ventes du même tonneau pour Warner : le premier "simple", Cathy's Clown, se vendra à 2,5 millions de copies en 1960 ! Le contrat avec la Warner, s'il a été juteux financièrement, va leur coûter cher en répertoire, ce qu'on retrouve caché dans certaines de leurs interprétations. Ainsi "Don't Blame Me", qui n'est pas d'eux car c'est à l'origine un hit datant de 1933 enregistré par Ethel Waters (ici dans "Stormy Weather", et sa sublissime interprétation !). Ce choix est dicté par une obligation : en signant avec WEA, Westly Rose, le gestionnaire du label, leur a refusé l'accès désormais au catalogue Acuff-Rose (et donc aussi à toutes les chansons de Boudleaux et Felice Bryant qui étaient déposés chez lui). Les frères Everly étaient alors coincés, car leurs premiers titres étaient encore eux aussi sous un contrat d'édition avec le label de Rose. D'où un choix qui paraît surprenant, mais qui va payer : la chanson montera au Top 20 à la fin de l'été 1961 ! Leur hit planétaire de l'année 1961 étant le superbe "Cryin' in The Rain" qui a donné son titre à cet hommage. Mais leur succès va progressivement baisser, avec l'arrivée de la pop anglaise (dont les Bee Gees qui leur rendront hommage, ou Rod Stewart ou même encore la chanteuse un peu scie Lulu) qui va gagner des parts de vente aux USA. Seule l'arrivée inopinée des Beach Boys saura la juguler. Ils grimpent quand même en 1967 au Hit-Parade avec un titre étonnant et mésestimé, "Bowling Green" : pour certains l'écriture du morceau influencera des gens comme Glen Campbell, avec "Gentle on My Mind" et sa country soft (ici en 1983, massacré par Claude François dans " Si Douce A Mon Souvenir" **), ce qui ne semble pas faux en effet. 1967, c'est l'année de la fin de leur contrat chez Warner, qui les reconduit pour trois ans de plus. Mais ça ne marche déjà plus entre les deux frangins, et un soir de concert à 1973, Buena Park, en Californie, Phil tombe dans une colère noire, en pleine scène, fracasse sa guitare à la Townshend et s'en va en coulisses, laissant Don finir le show seul. La rupture est consommée... elle durera 10 années.
Ils accepteront enfin d'enterrer leur hache de guerre en 1983 pour commettre ce double album parfait à l'Albert Hall, en Angleterre, "Reunion Concert", prodigieusement bien enregistré les 22 et 23 septembre, avec des pointures derrière eux dont Albert Lee, encore un grand inconnu chez beaucoup, hélas. Cet album rare est un vrai bonheur, d'harmonies de chants et de guitares (ils jouent sur des Steinneger). En background il n'y a pas de manchots en effet : on trouve aux claviers Pete Wingfield (ex Jellybread, groupe de blues anglais chez Blue Horizon et présent dans l'excellent BB King in London avec Jim Gordon, pas encore à l'asile - pour avoir tué sa mère-, on le retrouvera aussi derrière Van Morrison !) deux guitaristes Albert Lee et Martin Jenner, session man un peu partout, et comme batteur Graham Jarvis.
Il est intéressant de comparer le DVD sorti à l'album, car y figurent des prises différentes sur les deux jours des mêmes morceaux. Don, par exemple ; effecfue un tout autre solo sur "Bye Bye Love" sur le DVD (ici une autre version encore). L'année suivante ils sortent "EB 84", produit par Jeff Lynne, grand admirateur des Beatles, et grimpent à nouveau au Top US avec "On the Wings of a Nightingale," chanson signée Paul McCartney. L'album est fort dans la ligne de ce qu'ils faisaient ... à leurs débuts ! Deux ans plus tard sort l'excellent, "Born Yesterday", produit par Dave Edmunds, puis sort le dernier album sous leur nom qui est aussi excellent, Some Hearts, en 1989, à la très belle introduction. En 1986, on les rencontre en très bonne compagnie avec Chet Atkins et Mark Knopfler en background : la réunion rêvée des amoureux de guitare et de chant ?
Entre temps, il n'avaient pas déserté pour autant les studios, surtout Phil, qui était un boulimique de la chansons et de la compositions, ce qui nous révèle une liste sidérante de ses participations à la composition ou pour faire les chœurs sur des albums. Difficile en effet de trouver plus "crédité' sur les pochettes.
Son retrait du groupe ne l'avait pas écarté des studios, bien au contraire. On découvrira ainsi qu'il est le compositeur de "Jigsaw" pour les Shadows ou de l'album "Heart Like a Wheel" de Linda Rondstadt, ou a participé au début de carrière de Warren Zevon, qui, lui-même deviendra un compositeur prolixe (et deviendra membre de leur groupe de tournées). L'excellent Zeavon, lui aussi pas encore assez connu, hélas ! Plus subtil est sa participation à "Willin"", un excellentissime album hélas méconnu de l'anglais Dave Kelly (reprise du titre de Little Feat, lui-même un "must" absolu), excellent disque de bout en bout, (il fera aussi "Survivors" du même auteur) ou plus surprenant sa participation à celui des Fabulous Poodles ("Think Pink")", post-punk tendance harmonique, qui reste pour beaucoup un excellent groupe, lui aussi bien trop méconnu du grand public. On le retrouve aussi sur des trucs plus enlevés, tel le groupe Nighthawks, et leur album "Hard Living" (ici sur scène en 2012), autre groupe fabuleux à réécouter, aux prestations scéniques toujours enthousiasmantes.
(*) je n'étais pas le seul, visiblement : "rappelez-vous, c’était en 1957 –trois ans après le fameux « That’s all right Mama » d’Elvis- les Everly enregistraient « Bye Bye Love » au Studio B de Nashville… Deux guitares, deux voix indissociables qui fredonnent les petits problèmes des adolescents des annés 50. Une entrée fracassante dans les cœurs brisés des teenagers, et le début d’une étonnante carrière injustement passée sous silence dans notre cher Hexagone tombé aux mains des yéyés…." écrit si justement un fan sur le net.
(**) rattrapé en beauté par Benny Hill avec "The Dustbins Of Your Mind" !!! (désolé je ne résiste pas).
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