P.-A. Taguieff va encore se faire des amis-es !
Pour les adeptes d’un sociologisme primaire d’extrême
gauche, les explications de comportements criminels des supposés « dominés »
doivent constituer des accusations visant les « dominants ». C’est ainsi que le
terrorisme jihadiste est présenté comme une conséquence de l’« islamophobie »
attribuée aux « dominants », lesquels sont nécessairement « blancs »,
chrétiens, juifs ou athées. De la même manière, les violences sexuelles
commises par des immigrés musulmans s’expliqueraient par la misère sexuelle de ces
derniers, dont les seuls responsables seraient les sociétés « blanches » qui,
intrinsèquement « racistes », sont censées les stigmatiser, les exclure, les
ségréguer et les discriminer.
L'entretien avec Patrice de Méritens du Figaro Magazine, supplément culturel et hebdomadaire du quotidien de référence ci-dessous
Que vous inspire l'affaire Baupin qui relance la question du
sexisme dans notre société ?
Pierre-André Taguieff – Tout d’abord que Tartuffe est à
gauche : après Cahuzac l’inflexible intègre pris la main dans le sac, on tombe
sur Baupin le « féministe » aux mains baladeuses. Ensuite qu’un certain
journalisme dit d’investigation s’est spécialisé dans la dénonciation et
l’appel à la délation au nom de la vertu et de la transparence. Le mouvement de
purification enclenché prend l’allure d’un vaste règlement de comptes, voire
d’une chasse aux sorcières. Enfin que la lutte pour le pouvoir interfère de
plus en plus avec la lutte des sexes. Quoi qu’il ait pu faire, Baudin est un
coupable idéal : un homme blanc hétérosexuel de plus de cinquante ans et
exerçant de hautes responsabilités politiques. On comprend qu’il puisse faire
de l’ombre à ses concurrentes au sein de son parti, qui peuvent désormais se
présenter comme des victimes de la « domination masculine ». La politisation de
la compétition entre les sexes, initiée par certains milieux féministes, se
nourrit de passions négatives : envie, jalousie, ressentiment, esprit de
vengeance, etc. Et s’enrobe de thèmes victimaires. Nous y sommes plongés.
L’affaire Baupin, avec son parfum de misandrie, est un
symptôme social qu’on peut rapprocher du récent vote de la loi pénalisant les
clients des prostituées. Cette loi
relève de la pensée magique : croire que la prostitution disparaîtra si l’on
intimide ou dissuade les clients. L’incohérence est flagrante : la loi revient
à légaliser l’offre (le racolage) tout en punissant la demande. Comme si, pour
les nouveaux bien-pensants, il fallait compenser la décriminalisation des
prostituées par la criminalisation des clients. Ceux-ci sont érigés en
coupables tandis que celles-là tendent à être réduites à des victimes plus ou
moins infantilisées, après avoir longtemps été traitées comme des délinquantes.
Les « femmes de mauvaise vie » ne sont devenues récemment respectables qu’en
étant jugées irresponsables, ce qui les voue à être rééduquées ou «
responsabilisées », au même titre que leurs clients. En un mot : tous coupables,
toutes victimes.
L’adoption de ce projet de loi n’est qu’une pitoyable parade
morale d’acteurs politiques désireux de se donner bonne conscience à peu de
frais. Ses effets négatifs sont prévisibles : précarisation et mise en danger
des prostituées, risques sanitaires accrus, multiplication des réseaux
clandestins, etc. Mais surtout, on ne voit pas comment les services de police,
dans un contexte où la priorité est d’affronter la menace terroriste, vont
pouvoir s’adonner sérieusement à la chasse aux clients ! Cette loi est
simplement inapplicable.
Pourquoi cette focalisation sur le client ?
PAT. « Le » client, en effet, et non pas « la » cliente. Ce
n’est là qu’un indice, parmi beaucoup d’autres, de l’existence d’une vague
androphobe provoquée par un féminisme dévoyé, que j’appelle le néo-féminisme,
pour qui la « domination masculine » et le « patriarcat » expliquent la plupart
des malheurs du monde. Ce néoféminisme gauchiste, qui classe tous les humains
en dominants et dominées, coupables (hommes) et victimes (femmes), alimente la
guerre des sexes et désigne clairement l’ennemi : l’homme, le mâle humain
supposé violent, dominateur, exploiteur et violeur potentiel.Nous sommes ici
confrontés à une variante contemporaine de la chasse aux sorcières, fondée sur
le grand renversement de la misogynie en philogynie. Disons d’une chasse aux
sorciers.
La vision négative de la masculinité s’est jumelée avec une
vision positive de l’homosexualité, laquelle a dérivé vers une perception
négative de l’hétérosexualité, processus analogue à celui qui a fait passer de
la lutte légitime contre le racisme négrophobe au contre-racisme leucophobe (le
racisme anti-Blancs). Sous la pression néo-féministe, une partie de l’opinion
est passée du rejet de l’homophobie au rejet des hétéros. La nouvelle figure
répulsive est l’homme blanc hétérosexuel de plus de cinquante ans, auquel ne
s’applique pas la présomption
d’innocence.
Le racisme anti-Blancs entre ainsi en synthèse avec le
jeunisme, la gérontophobie et la misandrie. Entendons-nous : l’androphobie est
une crainte doublée de haine envers les hommes, la misandrie une haine doublée
de crainte et empoisonnée par l’esprit de revanche ou de vengeance. J’y vois le
surgissement d’un « second sexisme » ou d’un « néo-sexisme » (le premier étant
la misogynie), qui consiste à dénoncer l’homme comme un danger pour le genre
humain. Il y a là un stéréotype négatif qu’il faut combattre comme tous les
autres. Mais, justement, il n’est pas combattu par les tenants du vertuisme
officiel. Il est ignoré ou nié. La lutte contre la misandrie n’est pas entrée
au Panthéon des « bonnes causes ».
Quelle est l'idéologie des néoféministes ?
PAT. L’objectif premier du catéchisme néoféministe est la
destruction du « patriarcat », ce qui suppose qu’il existe. Pensée futile à
l’époque de l’individualisme égalitaire triomphant : la société androcentrée a
désormais le même statut de forme historiquement morte que la monarchie de
droit divin. Le néo-féminisme se distingue autant du féminisme classique qui
luttait vaillamment pour la libération ou l’émancipation des femmes que des
associations militantes se donnant pour objectif, parfaitement légitime, de
réaliser « l’égalité femmes-hommes », laquelle tend à se réduire modestement à
l’égalité salariale.
C’est autour du libre consentement qu’a lieu le grand
affrontement entre les partisans d’un néoféminisme sectaire, puritain et
androphobe, d’origine anglo-saxonne et scandinave, et leurs adversaires, qui
savent qu’en France on ne peut réduire les activités prostitutionnelles au
modèle de la traite. Les abolitionnistes en viennent toujours à mettre en
question le principe du libre consentement, donc à accuser les prostituées de
mentir ou de s’illusionner lorsqu’elles déclarent qu’elles ne sont soumises ni
à un proxénète ni à un réseau mafieux. En paternalistes arrogants, ils
prétendent savoir mieux que les prostituées ce qui est bon pour elles. Ils
sombrent dans l’utopisme : ils rêvent d’un monde sans prostitution, comme
d’autres utopistes rêvent d’une société sans classes ou d’un monde sans
conflits. On a de bonnes raisons de se méfier de ceux qui veulent purifier les
mœurs à tout prix.
Diriez-vous que le sexisme en France est un mythe ?
PAT. L’antisexisme est une réalité, alors que le sexisme classique
est en voie de disparition, sauf dans certains milieux issus de l’immigration,
qui fonctionnent comme des conservatoires de l’abaissement et de
l’asservissement des femmes. Le sexisme violent et la prostitution forcée sont
désormais, pour l’essentiel, des pratiques importées en France. Les réseaux de
traite des femmes immigrées ont su profiter de l’ouverture des frontières. Le
paradoxe est que l’antisexisme s’est institutionnalisé et radicalisé en France
au moment où le sexisme (misogyne), consensuellement condamné, n’existait plus
qu’à l’état de survivances. La chasse aux derniers vestiges du premier sexisme
est aussi vaine et frénétique que la chasse aux figures résiduelles du fascisme
depuis 1945. L’antifascisme sans fascisme coexiste désormais avec un
antisexisme sans sexisme autre que résiduel.
Quelles sont les conséquences de cet état de fait ?
PAT. Pour les adeptes d’un sociologisme primaire d’extrême
gauche, les explications de comportements criminels des supposés « dominés »
doivent constituer des accusations visant les « dominants ». C’est ainsi que le
terrorisme jihadiste est présenté comme une conséquence de l’« islamophobie »
attribuée aux « dominants », lesquels sont nécessairement « blancs »,
chrétiens, juifs ou athées. De la même manière, les violences sexuelles
commises par des immigrés musulmans s’expliqueraient par la misère sexuelle de
ces derniers, dont les seuls responsables seraient les sociétés « blanches »
qui, intrinsèquement « racistes », sont censées les stigmatiser, les exclure,
les ségréguer et les discriminer.
L’affaire des agressions sexuelles de Cologne permet de
mettre en lumière les récentes métamorphoses du néo-féminisme gauchiste et la
banalisation de ce racisme culturel émergent qu’est le racisme anti-Blancs,
alimenté par la mauvaise conscience des Européens qui se dénigrent eux-mêmes en
tant qu’ex-colonisateurs, impérialistes ou racistes. Antiracistes avant tout,
les néo-féministes n’oublient leur antisexisme frénétique que dans un seul type
de situation : lorsqu’elles perçoivent un risque de « stigmatisation » des
immigrés de culture musulmane, incarnant à leurs yeux le type de la victime
maximale.
Conformément à la nouvelle vulgate antiraciste, elles
postulent que l’« islamophobie » est le seul « racisme » réellement existant
aujourd’hui, et le seul à être inconditionnellement condamnable. Au sanglot de
l’homme blanc s’ajoute ainsi celui de la féministe blanche, qui cherche à se
faire pardonner d’être telle. C’est pourquoi tant d’activistes néo-féministes
ont gardé le silence sur les agressions sexuelles commises, dans la nuit du 31
décembre 2015 à Cologne (et dans d’autres villes européennes), principalement
par des immigrés originaires du Maroc et d’Algérie, mais aussi par des «
migrants » venus d’Irak ou de Syrie.
La dénonciation du nouveau péché mortel qu’est l’«
islamophobie », lorsqu’elle s’inscrit dans la culture de l’excuse, provoque un
retournement spectaculaire de l’indignation morale : il consiste à minimiser
ces violences sexuelles de masse en raison de l’origine ou de l’identité
religieuse des agresseurs, tout en dénonçant les « discriminations » dont ces
derniers seraient les victimes ou les « instrumentalisations racistes », par «
l’extrême droite », desdites agressions contre des femmes européennes. Triste
bilan du néo-féminisme : la misandrie militante n’est suspendue que lorsque les
hommes violents ne sont pas d’origine européenne et incarnent le type de
l’exclu-victime du fait de leur statut d’immigrés de religion musulmane.
Derrière cet antiracisme à sens unique, pro-immigrés, derrière aussi cette
étrange islamophilie militante, on discerne la montée d’un racisme anti-Blancs
qui ne s’assume pas comme tel.
Lutte contre la prostitution et campagnes antiracistes, même
combat ?
PAT. La campagne socialiste contre le « système
prostitutionnel » relève d’un type de manipulation politique désormais bien
rôdé, fondé sur la diabolisation d’un ennemi fictif ou fantasmé. Il s’agit
d’inventer un ennemi redoutable et d’appeler à une mobilisation contre lui,
accompagnée de mesures répressives. Les milieux abolitionnistes militants sont
satisfaits, et le gouvernement paraît gouverner en faisant voter une nouvelle
loi, parfaitement inutile. On peut parier que l’abolitionnisme d’État sera
aussi inefficace que l’antiracisme d’État qui l’a précédé, dont l’objectif
principal était de faire disparaître le Front national de la scène politique.
Et supposer que ses effets pervers ne seront pas moins nombreux.
L’antiracisme d’État mis en place par la gauche, en
banalisant le projet normatif du type « vivre ensemble avec nos différences »,
a engendré deux grands effets pervers contradictoires : d’une part, le
bétonnage des différences, et, d’autre part, l’illusion que le salut de la
France est dans le mélange, le métissage (comme mise en commun des
différences), la mixité généralisée. Il a ainsi favorisé l’apparition de la
société multicommunautariste et multiconflictuelle dans laquelle nous vivons,
où les questions politiques et sociales sont ethnicisées ou racialisées.
L’islamo-terrorisme s’y développe comme dans son milieu naturel.
Vivons-nous aujourd'hui dans un nouveau totalitarisme ?
PAT. Le mot « totalitarisme » est trop fort pour désigner le
pitoyable mélange d’impuissance, de faiblesse et de démagogie qui porte le nom
de « gouvernement ». La France est prisonnière d’une bureaucratie envahissante,
soumise aux groupes de pression et minée par la fragmentation conflictuelle. On
pourrait parler d’un totalitarisme tiède, la machine étatique étant réduite à
une voiture-balai récupérant les déchets de toutes les utopies modernes. Ce
despotisme doucereux à visage vertuiste et « progressiste » se reconnaît avant
tout à sa frénésie purificatrice, normative et normalisatrice, dont le principe
est un égalitarisme aspiré par un désir d’indifférenciation finale et coloré
d’écologisme hygiéniste. Ses idéologues rêvent d’un monde sans classes, sans
inégalités, sans conflits, sans frontières, sans différences sexuelles,
ethniques ou raciales, sans putes, sans alcool, sans tabac, sans finances, sans
sucre, sans gras, sans sel… Et bien sûr sans Finkielkraut.
Sa passion motrice est l’exigence de tout (ce qui est jugé
bon) pour tous, impliquant une fuite en avant vers toujours plus d’égalité des
conditions ou d’égal accès à tout, sans conditions : du mariage pour tous à la
PMA et à la GPA pour tous (des enfants pour tous !), en passant par le revenu
universel. La dure réalité qui dérange les rêves est devenue insupportable. La
bêtise idéologisée consiste à la nier ou à vouloir la rééduquer. L’horizon
dessiné par l’optimisme du canard sans tête est le « bien vieillir ». C’est
ainsi que la France chloroformée sort de l’Histoire.
Comment imaginer un avenir désirable dans une France qui
tend à se transformer en un immense « Resto du cœur » ? Il ne faut pas
désespérer pour autant. La France s’est redressée après bien des débâcles. Ce
qui l’a toujours sauvée du désastre, c’est le courage de quelques-uns.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire
D'avance, merci de votre participation !